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sition d’esprit où il se trouve, d’entendre dire (p. 10) que le Banquet et la République sont deux livres qui déshonorent le génie grec. Mais cela ne peut modifier en rien son opinion sur la morale des dialogues de Platon, ni sur le génie grec.

Pour la communauté des femmes comme pour le vice grec, M. Sorel est impitoyable ; certes, cela lui fait honneur. Lui était-il cependant indispensable de se montrer tellement effarouché sur de pareils lieux communs ?

Je lui reprocherai plus sérieusement un autre défaut de forme ; l’abus des citations et des longues citations quand il argumente. M. Sorel apprécie beaucoup Proudhon en particulier et il nous en sert des pages entières pour contredire les thèses socratiques. Quand on pense et qu’on écrit par soi-même d’une façon suffisamment originale — et c’est bien le cas pour M. Sorel, — il vaut toujours mieux se borner à son propre cru ; le lecteur y trouvera plus de satisfaction qu’à des extraits d’œuvres qu’il ne connaît quelquefois que trop, qu’en tout cas il lui est très facile de se procurer. De simples renvois en note sont bien suffisants.

Sans insister davantage sur des critiques de ce genre, je vais m’efforcer de faire ressortir ce qu’il peut y avoir de neuf dans le livre de M. Sorel au point de vue historique.

L’ouvrage est divisé en cinq chapitres : — Le témoignage d’Aristophane. — Les mœurs socratiques. — La religion de Socrate. — Les oligarques. — La mort de Socrate. — Suivent trois appendices : l’éthique de Socrate ; la théorie des causes ; l’immortalité de l’âme. Enfin quatre notes : A. Socrate chez Théodote. B. Le Second Hippias. C. L’Economique. D. Le Hiéron.

M. Sorel attache une grande importance au témoignage d’Aristophane sur Socrate. Je pense en principe qu’il a raison, puisque la première représentation des Nuées remonte à une époque où Platon et Xénophon étaient encore des enfants. Mais, dans l’application, il y a d’énormes difficultés, tenant d’une part à la révision qu’ont subie les Nuées et dont on ignore le véritable caractère, d’un autre côté à l’incertitude où l’on est de l’appréciation à porter sur le rôle et la conscience d’Aristophane.

M. Sorel évite de toucher le premier de ces deux points, cependant capital ; quant au second, il prononce en faveur du grand comique le jugement le plus favorable. Aristophane n’appartient pas pour lui au parti aristocratique qui d’ailleurs aurait disparu ; ce poète est un indépendant, dont l’idéal est le retour aux vieilles mœurs vraiment démocratiques du temps de Salamine ; il attaque en face la nouvelle oligarchie, dont les membres, élevés à l’école des sophistes, feront de la démagogie sans scrupules et des coups d’État sans pitié. On ne peut nier que Socrate n’ait eu surtout ses attaches de son côté ; les Nuées dirigées contre la turbulente jeunesse qui commence à affirmer ses tendances (Phidippide-Alcibiade), dirigées contre les sophistes, dont