Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVIII, 1889.djvu/665

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
655
analyses. — g. sorel. Procès de Socrate.

Socrate est, aux yeux des Athéniens, le plus renommé et le plus influent, les Nuées sont un acte de courage, et Platon, dans son Apologie, aurait fait une mauvaise action en les reprochant à Aristophane.

Un dicton trop connu est au bout de ma plume. Si c’est Aristophane qui a commencé, on peut l’excuser, mais ce n’est pas une raison pour rejeter la faute sur les victimes. En tout cas, je me plais à reconnaître que la thèse est vivement menée et que, prise en regard des opinions courantes, elle a sa part de vérité. Néanmoins je crois qu’il faut singulièrement en rabattre.

Je ne pourrais que recommander au lecteur, après ce chapitre qui constitue, à vrai dire, une étude très brillante sur l’auteur des Nuées, d’étudier immédiatement l’excellent livre, à la fois si pondéré et si ingénieux, Aristophane et l’Ancienne Comédie attique, de M. Couat[1]. Il y verra comment même un admirateur du poète comique ne doit pas se faire illusion sur certains côtés peu estimables, en fait, de son caractère : il y apprendra aussi que la question doit se poser sur un autre terrain.

Les frais de représentation des comédies politiques étaient alloués par un archonte, décidant souverainement et sans comité de lecture. Comme il y avait un très grand nombre de compétiteurs et qu’il fallait en évincer plus qu’on en admettait, il est clair que le choix était, avant tout, affaire de coterie[2]. Le poète devait donc se préoccuper, non seulement de plaire au public pour obtenir le prix, mais avant tout de flatter les opinions de la classe à laquelle appartenaient les archontes, bien plus, les sympathies et antipathies personnelles à l’archonte annuel qui devait décider de l’admission au concours. Dans de telles conditions, un caractère vraiment indépendant n’aurait pu que s’abstenir ; les comiques qui ont été joués à Athènes se sont pliés aux circonstances, et s’ils ont été tous à peu près du même bord, cela montre que les archontes appartenaient à une classe à laquelle la cité réservait de grands honneurs, d’ailleurs coûteux, mais qui n’avait pas, sur la marche des affaires, une influence proportionnée à ses richesses.

La seule conclusion que nous pouvons tirer de là, c’est qu’il est bon d’user, pour juger Socrate, des textes d’Aristophane, mais qu’on ne doit le faire qu’avec une grande prudence et sans se faire illusion sur le caractère conjectural des déductions que l’on tire de ces textes. Je me hâte de dire qu’en fait, M. Sorel a fait preuve, dans l’espèce, d’un sens critique suffisant pour que les remarques de détail qu’il a faites vaillent la peine d’être prises en considération.

Je passerai sur le second chapitre dont j’ai suffisamment déjà indiqué les tendances ; je me contente de faire observer qu’en général M. Sorel, quand il a à choisir entre Xénophon et Platon, n’hésite pas à prendre

  1. Paris, Lecène et Oudin, 1889.
  2. Ceci est bien confirme par ce fait qu’on voit, dans les pièces jouées la même année, les plaisanteries s’adresser aux mêmes personnages.