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Comment cette politique à priori se conciliait dans l’esprit de Hutcheson avec sa morale fondée sur un fait (celui de la bienveillance), c’est ce que nous ne voyons pas. Il y a plus : il avait, à côté de ces études, commencé celle des faits économiques, et ne se préoccupait pas davantage de l’y rattacher ; du reste, ce défaut de cohésion systématique n’empêcha pas son enseignement de porter ses fruits, puisqu’il eut pour élève Adam Smith. L’Essai sur la nature et la conduite des passions et des affections devient la Théorie des sentiments moraux, et le chapitre consacré à l’économie politique dans le Manuel de philosophie morale enfante la Richesse des nations. L’école est dès maintenant organisée, et de l’un à l’autre des enseignements donnés à Glascow il y a la même suite qu’entre les différentes opérations d’un même esprit. Le second amplifie et précise le premier.

Il ne faudrait pas croire du reste que les cours et les ouvrages de ces deux professeurs formassent à eux seuls ce que nous appelons l’École écossaise. Un milieu spécial était constitué dans toute l’Écosse pensante par les sermons prononcés chaque dimanche dans les chaires presbytériennes et dissidentes, sermons qui agitaient surtout les questions de morale et de théologie rationnelle, par les livres publiés en nombre incroyable sur les mêmes sujets, par l’enseignement des autres universités, où, comme nous le verrons, d’autres rameaux de la même philosophie surgissaient simultanément, enfin par la circulation du Scot’s Magazine, qui reflétait les préoccupations à la fois rationalistes et religieuses d’un public très étendu. Les œuvres que nous étudions ici ne sont, comme il arrive de toute production remarquable, que l’expression la plus haute d’un vaste mouvement d’idées contemporain[1].

    que la faiblesse interne du corps animal et les cause s extérieures le conduisent enfin à son période fatal. (Système de phil., t. ii, p. 540, traduction de Lyon, 1770.)

  1. Carmichael avait donné le signal des publications sur la morale par sa traduction du De officio hominis et civis de Puffendorf et ses Devoirs de l’homme envers son âme. Puis étaient venus les Principes de philosophie morale de Turnbull (1740), l’Essai sur la vertu et l’harmonie, etc., de William Jameson (1749), et les Éléments de morale de David Fordyce (1754). A côté de spéculations sans valeur, on trouve dans les écrits de Fordyce des passages comme celui-ci : « La philosophie morale a cela de commun avec la philosophie naturelle qu’elle fait appel à la nature ou au fait. » Il opposait la morale ainsi entendue à la morale théologique, qui fonde l’obligation sur la volonté de Dieu. Pringle vers 1748 commentait Puffendorf dans sa chaire d’Edimbourg. David Dudgeon publiait en 1732 un ouvrage intitulé Le monde moral, et en 1739 un Catéchisme fondé sur l’expérience et la raison, composé par un père à l’usage de ses enfants. Il soutenait que les mots « de juste et d’injuste, de mérite et de démérite ont une relation nécessaire à l’existence de la société. » Il niait la liberté humaine. Le Scot’s Magazine parait en 1739. Il contient de nombreuses récensions d’ouvrages d’esthétique et de morale.
    (La suite prochainement.)
    A. Espinas.