Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 11.djvu/148

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
144
revue philosophique

comme les modes de conduite, perpétuellement répétés, engendrent chez les uns une aptitude héréditaire au commandement, et chez les autres une aptitude héréditaire à l’obéissance ; enfin le résultat de ces aptitudes, c’est qu’avec le temps s’établit des deux parts la croyance que les situations respectives, les relations officiellement réglées des classes, sont naturelles.

En supposant la guerre habituelle entre les sociétés sédentaires, les interprétations qui précèdent ont supposé la formation de sociétés composées. La formation des divisions de classes que nous venons de décrire se complique de la formation de nouvelles divisions de classes sous l’influence de relations établies de temps en temps entre vainqueurs et vaincus dont les groupes respectifs contiennent déjà des divisions de classes.

La différenciation croissante qui accompagne l’intégration croissante s’aperçoit clairement dans les sociétés demi civilisées, aux îles Sandwich par exemple. « Voici, d’après Ellis, l’énumération des rangs de cette société 1o le roi, les reines, la famille royale, le conseiller ou premier ministre du roi ; 2o les gouverneurs des diverses Iles et les chefs des diverses grandes divisions territoriales plusieurs d’entre eux sont les descendants d’ancêtres qui étaient rois d’une île au temps de Cook, et qui le sont restés jusqu’au moment de la conquête de l’archipel par Taméhaméha ; 3o les chefs des districts ou villages qui payent une rente fixe pour le sol, qu’ils cultivent au moyen de leurs serviteurs, ou la laissent aux mains de leurs tenanciers : ce rang comprend aussi d’anciens prêtres ; 4o les classes laborieuses, celles qui prennent à loyer de petites portions de terre, celles qui travaillent le sol pour la nourriture et le vêtement, les ouvriers, les musiciens, les danseurs. » D’autres passages nous montrent les classes laborieuses non plus groupées en un seul rang, mais divisées en artisans, qu’on paye avec des salaires ; les serfs, attachés au sol ; et les esclaves. En y regardant, on voit très bien que les chefs inférieurs, autrefois indépendants, ont été réduits au second rang, quand les chefs voisins les ont subjugués en devenant des rois locaux, et qu’ils ont passé au troisième rang, en même temps que ces rois locaux devinrent des chefs du second rang, lorsque la conquête de l’archipel les réunit tous sous la domination d’une royauté suprême. D’autres sociétés, arrivées au même point de civilisation, nous offrent des divisions analogues qu’on peut expliquer de la même manière. Chez les naturels de la Nouvelle-Zélande, il y a six grades sociaux, six chez les Achantis, cinq chez les Abyssiniens. D’autres États africains plus ou moins composés présentent des divisions analogues. L’ancien Pérou nous fournit un exemple aussi clair qu’on peut le souhaiter