Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 11.djvu/150

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
146
revue philosophique

unie est grande à la période de non-cohésion, plus il faut que les agents distribués sur les divers échelons de la hiérarchie qui le maintiennent soient nombreux.

Les différenciations politiques que le régime militaire fait naître, et qui acquièrent pour longtemps un caractère toujours plus tranché, au point que le mélange des rangs par mariages est tenu à crime, se trouvent, à d’autres époques et sous d’autres conditions, dérangées, traversées et détruites, en partie ou en totalité.

Lorsque, durant de longues périodes et avec des degrés toujours variables, la guerre produit des agrégations et des dissolutions, la rupture et le rétablissement continuels des liens sociaux effacent les divisions établies de la manière que nous avons décrite : par exemple l’état des choses dans le royaume des Mérovingiens. Lorsque, au lieu de conquêtes opérées par des sociétés voisines de même race, qui laissent substituer la plupart des situations sociales et des propriétés des subjugués, ce sont des conquêtes faites par des races étrangères et exécutées par des procédés plus barbares, les rangs primitifs peuvent se trouver réellement effacés et remplacés par des grades institués uniquement par la volonté du despote conquérant. Nous voyons cet état de choses réalisé dans les parties de l’Orient où depuis les temps les plus reculés des races en ont subjugué d’autres : il n’y a guère de rangs héréditaires s’il y en a, et le seul qu’on y reconnaisse, c’est la position officielle. En dehors des divers grades de fonctionnaires publics, il n’y existe pas de distinction de classe, ou aucune qui ait un sens politique.

D’autres causes produisent une tendance à la subordination des rangs primitifs, et la substitution de nouveaux rangs aux anciens : cette tendance accompagne le progrès de la consolidation politique. Le changement réalisé en Chine montre nettement cet effet. « Plus tard (à l’époque de la décadence de la féodalité), dit Gutzlaff, un simple titre fut la récompense conférée par le souverain… et les grands puissants et redoutés des autres pays se trouvent des serviteurs dépendants et pauvres de la couronne. Le principe révolutionnaire du nivellement des classes a été poussé en Chine extrêmement loin… Ce résultat est tout au profit du souverain, dont il rend l’autorité absolue.

Il n’est pas difficile de voir les causes de ces changements. En premier lieu, les chefs locaux subjugués, perdant, au cours des progrès de l’intégration, toujours plus de leur puissance, perdent par suite toujours plus de leur rang réel, sinon de leur rang nominal, c’est-à-dire qu’ils passent de la condition de chefs tributaires à celle de sujets. Il arrive même que par jalousie le monarque les exclut