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d’expliquer les difficultés par une mystérieuse intervention de l’inconscient, il résiste il pèse sévèrement les raisons, et, s’il les trouve insuffisantes, il le dit franchement ; il se défend de « faire de l’inconscient le refuge des abstractions réalisées que la science abandonne » ; et c’est parfois à son corps défendant qu’il conclut en faveur de sa thèse. La préoccupation d’éviter (quoique peut-être il ne l’évite pas toujours) ce qui serait hasardé ou obscur est constante chez lui : il en est comme obsédé. C’est d’un philosophe et d’un savant.

Cette prudence et cette sévérité critique sont d’autant plus nécessaires en un pareil sujet que, par la force des choses, il faut y faire une part assez large au raisonnement et à l’hypothèse. L’observation directe, la constatation immédiate et l’expérimentation font défaut. Il s’agit de connaître ce qui, par définition, échappe à l’observation. Ce n’est qu’indirectement qu’on peut espérer de saisir cet inconnu qui cesserait d’être ce qu’il est si on l’apercevait autrement. Recueillir des faits précis, les choisir authentiques, les analyser avec rigueur puis éprouver toutes les explications que le raisonnement en peut donner, recourir enfin dans une juste mesure, sans pruderie de savant comme sans légèreté, à l’hypothèse, à laquelle les travaux de Cl. Bernard ont décidément donné droit de cité dans la méthode scientifique la plus rigoureuse, voilà la méthode à suivre. Il faut montrer comment M. Colsenet l’a appliquée : en la voyant à l’œuvre, on la jugera.

Une intéressante introduction expose la doctrine de Leibnitz le premier, comme on sait, qui ait porté son attention sur les petites perceptions et qu’à ce titre on peut considérer comme un des précurseurs de la théorie de l’Inconscient. A-t-il voulu parler salement des perceptions faiblement ou confusément perçues, ou a-t-il considéré certains faits d’ordre psychique comme échappant réellement à la conscience ? La première opinion est la plus répandue ; elle n’est pas la plus vraie, d’après M. Colsenet. Un grand nombre de textes soigneusement choisis et habilement interprétés lui permettent de conclure en faveur de la seconde alternative et de revendiquer la grande autorité de Leibnitz en faveur de la thèse qu’il soutient. « Le mot inconscient n’est pas dans Leibnitz : l’idée y est sans aucun doute. » Les perceptions inconscientes, selon Leibnitz, seraient de deux sortes ; « les unes se produisent dans l’âme elle-même, et celle-ci ne s’en aperçoit pas ; les autres se produisent en dehors de nous, dans les monades de l’organisme, et elle n’en connaît que les conséquences. »

L’ouvrage lui-même est divisé en quatre parties ; l’auteur examine successivement les faits inconscients dans les actes de connaissance, dans les déterminations, dans les tendances, naturelles ou acquises, enfin dans les faits sensibles, émotions agréables ou pénibles, penchants et passions.

Les conditions les plus générales de la connaissance sont l’espace et le temps. On peut être tenté d’expliquer la formation de ces deux notions par un travail inconscient, par l’élaboration, inaperçue de la