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ANALYSES ET COMPTES-RENDUS




E. Colsenet. La vie inconsciente de l’esprit. Paris, Germer Baillière.1880.

Les psychologues avaient souvent soupçonné que le « flambeau » de la conscience n’éclaire pas d’une lumière égale toutes les régions de l’esprit, et plus d’un avait osé dire que peut-être il se passe en nous bien des choses dont nous ne savons rien. Mais il restait à explorer ces contrées ténébreuses et à pénétrer, si l’on pouvait trouver un fil conducteur, dans ces sous-sols de la conscience. C’est cette entreprise hardie qu’a tentée M. Colsenet : et il l’a conduite avec une prudence, une sûreté de coup d’œil, une méthode, et finalement un succès, qu’on ne saurait trop louer en un sujet si difficile. M. de Hartmann, qui a consacré à l’Inconscient un gros volume, n’a pas su résister (il ne l’a probablement pas essayé) à la tentation qui porte tout esprit allemand, quand il est en possession d’une idée juste, à en tirer un système métaphysique : il semble qu’en ce pays une théorie philosophique n’explique rien, si elle n’explique tout, et l’on ne peut s’arrêter à une vue qui sort de l’ordinaire, sans se figurer une fois de plus qu’on a trouvé la clef des éternels problèmes. Tout autre est la méthode de M. Colsenet. Il s’est donné une tache circonscrite, une question particulière à élucider il l’examine en elle-même, sans autre ambition que de trouver une réponse vraie. Son sujet l’intéresse : c’est pourquoi il se garde d’en sortir. Sans doute, il a lu attentivement les travaux de M. de Hartmann : il en fait son profit à l’occasion et leur rend justice. Mais il sait aussi, quand il le faut, discuter avec fermeté les théories aventureuses du métaphysicien allemand ; il trace d’une main sûre, pour rester en deçà, la limite qui sépare la psychologie de la métaphysique. Peut-être ne serait-il pas exagéré de dire que le principal service rendu à M. Colsenet par M. de Hartmann a été de lui signaler, par un illustre exemple, les écueils de son sujet. Il faut un véritable effort d’esprit, quand on défend une thèse qu’on a à cœur, pour ne pas forcer l’interprétation des faits, pour ne pas les violenter, ou tout au moins les solliciter doucement. Les plus habiles se laissent prendre aux séductions de l’idée qui les domine, et, étant tout pleins d’elle, la voient partout. Cet effort méritoire, M. Colsenet a su l’accomplir. En plus d’une occasion, où on pourrait être tenté