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ANALYSEScolsenet. — La vie inconsciente de l’esprit.

l’image éveille l’idée ; sans doute elle provoque aussi du même coup les mouvements nerveux associés à l’image ; c’est ainsi que nous arrivons à avoir littéralement la sensation d’une chose qui n’existe pas ; « toute image, qu’elle vienne du dehors ou du dedans, a la même réalité subjective ; il suffit que la croyance s’y attache pour qu’elle devienne une perception, mais une perception venant de l’intérieur, c’est-à-dire une hallucination véritable. »

Il faut conclure que « le monde tel qu’il nous apparaît est bien dans sa matière et sa forme une création de notre esprit ; mais il s’en faut que cette création soit arbitraire et ne réponde à rien ; elle se fait suivant des lois, les lois, mêmes de l’esprit, appliquées sans réflexion ni conscience. »

S’il faut faire à l’inconscient sa part dans les actes de l’esprit qui paraissent dépendre le plus directement des impressions venues du dehors, à plus forte raison en est-il de même dans les opérations bien plus complexes qui se rattachent à l’imagination. C’est une vérité banale de dire que l’imagination n’invente rien et ne fait qu’utiliser des matériaux antérieurement recueillis ; mais comment se font ces combinaisons si rapides, si variées, parfois si inattendues et si brillantes ? Dans un chapitre d’une psychologie très fine et très profonde, M. Colsenet montre que, dans toute œuvre d’imagination, les éléments assemblés sont empruntés à une foule d’idées antérieures : ce sont des fragments détachés, dissociés d’abord du tout dont ils faisaient partie, puis rassemblés sous une unité nouvelle. Mais, chose curieuse, ces idées totales dont nous détachons des fragments, nous échappent tout à fait ; à peine une recherche attentive peut-elle les découvrir après coup, et encore serions-nous souvent bien en peine de les retrouver ; nous empruntons sans connaître les préteurs. La seule chose que nous connaissions, c’est l’œuvre achevée, au moment où elle sort de l’ombre, toute formée, comme Minerve sortit de la tête de Jupiter ; les mystères de sa naissance, les secrets des combinaisons nous sont à jamais cachés ; la encore, nous reconnaissons le travail de l’inconscient. « Nul effort d’attention ne peut nous découvrir le moment où divers éléments colorés se groupent pour former un arbre et où celui-ci vient, après quelques oscillations, prendre place à côté d’un ruisseau ou d’un rocher, dont les différentes parties elles-mêmes ont dû se réunir à part. Nous ne voyons pas les traits du visage isolément tirés du fond de la mémoire s’associer dans un ordre nouveau. Cependant, tout ce travail s’est accompli, car nous ne sommes pas en face d’un souvenir conservé intact, mais d’une œuvre de fantaisie, capricieusement créée par l’esprit. » La nature travaille pour nous à notre insu dans les profondeurs de l’inconscient ; elle travaille sans relâche, et souvent, plus patiente que nous, continue l’œuvre commencée après que nous nous l’avons abandonnée. Ainsi s’explique l’aventure de ce géomètre qui, après avoir vainement cherché la solution d’un problème, fut effrayé de la voir apparaître subitement sous la forme d’une figure