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géométrique, alors que depuis deux ans il avait cessé d’y penser. Même quand la volonté, à la pleine lumière de la conscience, se met à l’œuvre, elle ne supprime pas, elle provoque seulement et dirige le mystérieux travail dont il est ici question. Elle se borne à faire un choix conscient parmi les diverses combinaisons qui se font d’elles-mêmes inconsciemment ; mille tâtonnements qu’on oublie, une fois l’œuvre achevée, la précèdent ; leur rapidité nous les dérobe. La réflexion n’est au fond qu’un appel à l’inconscient : l’inconsciente nature répond suivant ses moyens ; et c’est pourquoi le génie n’est pas une longue patience ; c’est pourquoi l’esprit souffle où il veut.

Comment s’étonner, après cela, que les artistes et les poètes, émerveillés d’un travail qui s’est fait en eux, sans eux, et qu’ils ne connaissent que par ses résultats, comme la mère ne connaît le fruit de ses entrailles qu’au moment où il apparaît au jour, aient tant de fois méconnu leurs œuvres, en les attribuant à une inspiration venue du dehors ? C’est une illusion qu’il est aisé d’expliquer. La pensée, dans tous ses actes, n’obéit jamais qu’à ses lois ; elle suit toujours son cours naturel et réglé, et il n’y a point ici d’autre mystère que celui de l’inconscient.

Examinons maintenant la part de l’inconscient dans les déterminations. M. Colsenet appelle détermination « la production d’un acte à la suite d’un fait psychologique qui le représente. » L’idée est naturellement liée à certains mouvements organiques, et, par sa seule présence, les provoque, sans qu’il soit besoin de faire intervenir, comme le veut M. de Hartmann, entre l’idée et l’acte, une substance mystérieuse, qui serait comme l’exécutrice des œuvres de la pensée ; l’organisme obéit directement à la pensée, ou plutôt le mouvement suit l’idée, comme l’ombre suit le corps ; il est comme l’envers de l’idée. Qu’il s’agisse d’un fait physique, comme chez ces malheureux que l’idée du suicide obsède et finit par entraîner ; ou d’un fait physiologique, comme la rougeur qui nous monte au front malgré nous ou d’un fait psychique, comme les hallucinations provoquées par des idées, dont nous avons parlé plus haut, mille exemples prouvent que la représentation, par sa seule présence, entraîne l’acte. Et il en est ainsi, que l’acte soit volontaire ou non. « La volonté n’est pas une substance, mais un acte, une adhésion donnée à l’idée qui passe. » Elle agit non pas directement sur les organes, comme cette force motrice dont on a si longtemps encombré la psychologie, mais uniquement sur les représentations : les maintenir présentes devant la conscience, choisir librement celle qu’elle fixera, voilà toute sa sphère d’action. L’exécution suit d’elle-même l’idée, et ne dépend de la volonté que par l’intermédiaire de l’idée.

La question est maintenant de savoir si ces idées qui provoquent des actes sont toujours accompagnées de conscience. Suivant M. Colsenet, elles sont souvent inconscientes, chez l’animal comme dans l’homme. Une abeille décapitée continue pendant plusieurs heures à repousser