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A. FOUILLÉE. — LE NÉO-KANTISME EN FRANCE

néanmoins des mobiles moraux, mais bien en ne cherchant pas une loi qui les gouverne, et ils ne se sont pas entendus sur la préférence à donner aux unes ou aux autres en tant que rectrices, puisqu’elles sont toutes bonnes, telles qu’ordinairement ils les ont définies, mais qu’il n’en est aucune qui porte règlement pour les autres ni pour elle-même[1]. » Ainsi, c’est une loi, un règlement qui, selon M. Renouvier, manque à la morale toute relative des fins identiques aux biens. À vrai dire, les partisans de cette morale pourraient lui répondre que la fin suprême est pour eux le bonheur, et que la recherche rationnelle du bonheur est bien une loi, un règlement ; la seule difficulté serait de choisir entre le bonheur personnel et le bonheur universel, mais M. Renouvier, à son propre point de vue, rencontre une difficulté semblable. C’est même pour en sortir qu’il admet que toutes les fins peuvent être recherchées, mais seulement à une condition expresse, savoir qu’elles soient susceptibles de généralisation et qu’elles rentrent ainsi dans une loi générale. Voyons donc ce que cette loi des désirs, objet ou plutôt fonction de la raison, peut être dans une doctrine qui réduit la raison même à l’entendement et à ses fonctions logiques.

Si cette doctrine était parfaitement conséquente avec elle-même, la loi y serait présentée comme purement logique, comme une simple généralisation de l’entendement, que tout être doué d’intelligence et de réflexion est capable de faire sans avoir besoin d’autres « fondements » que son « intelligence » même et sa « liberté apparente ». M. Renouvier tente bien d’abord de s’en tenir à cette conception de la loi comme généralisation logique et extension à autrui des fins que chaque individu trouve désirables pour lui-même. « Deux agents raisonnables, dit-il, se connaissant chacun soi-même et puis mutuellement comme tels, sont nécessairement portés à concevoir un bien commun résultant de leurs biens réunis, un effort de leurs efforts, une fin de leurs fins… Il ne faut rien de plus que cette qualité d’êtres raisonnables pour expliquer la situation que je viens de définir[2]. » Ceci posé, pourquoi, se demande M. Renouvier, les agents raisonnables « doivent-ils compter mutuellement sur leurs promesses, et même sur celles qu’ils supposent et ne formulent point ? et quel est le premier ou l’essentiel des biens communs dont leur association implique la connaissance ?… Une seule réponse est à faire selon la raison. Ces agents compteront sur leurs promesses mutuelles, parce qu’ils sont des personnes semblables, ou égales,

  1. P. 181. 182
  2. P. 74. 78.