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ANALYSEScolsenet. — La vie inconsciente de l’esprit.

les consciences inférieures, subordonnées à la conscience principale et groupées autour d’elle. Ici, on peut s’entendre ; la théorie devient même très belle et très forte. Mais, avant de l’apprécier en elle-même, il y a lieu de se demander si le mot inconscient est celui qui convient le mieux pour désigner des états qui, après tout, sont conscients. La thèse de la diversité des consciences est autre que celle de l’absence de conscience ; si l’on veut la discuter, peut-être vaudrait-il mieux la considérer en ce qu’elle a de positif, au lieu de n’envisager dans les consciences multiples qu’un caractère tout négatif, à savoirqu’elles sont autres que la conscience principale. À prendre ainsi la question, on s’expose à s’embarrasser dans des difficultés de toute sorte. Par exemple, l’expérience montre qu’une des consciences subordonnées peut secouer le joug de la conscience principale et subsister à côté d’elle. Comme on l’a vu dans le cas de Félida X… elle peut conserver tous les souvenirs de l’ancienne conscience mais l’ancienne ne garde rien des souvenirs de la nouvelle ; la conscience nouvelle n’est-elle pas la même au fond que l’ancienne puisqu’elle connaît tout le passé, comme le faux Sosie connaît celui du vrai Sosie ? Et si elle est autre, puisqu’elle a tous les souvenirs de la première, plus les siens, c’est elle qui est la vraie conscience. Un régime nouveau s’établit ; la conscience usurpatrice, ayant pris la place de l’ancienne, a droit à tous ses titres et honneurs. Dirons-nous donc que l’inconscient devient conscient, ou que le conscient déchu tombe à l’état d’inconscient ?

Il eût été d’autant plus important de trouver un autre terme (de dire lequel, c’est ce qui n’est point facile) que M. Colsenet place la conscience partout.’Ce nom d’inconscient fait illusion ; c’est une véritable antiphrase, comme celui des Euménides. La vie inconsciente de l’esprit est en réalité, si nous comprenons bien la pensée de M. Colsenet, la vie perpétuellement, indéfectiblement consciente de l’esprit. Suivant lui, ce qui a été une fois conscient ne cesse plus de l’être ; là non plus rien ne se perd ; mais sous la conscience supérieure, qui est le moi, s’échelonnent une infinité de consciences toujours en éveil et toujours en acte, vouées à la garde du dépôt sacré de la représentation, veillant sur lui comme les vestales veillaient sur le feu sacré ; c’est la conscience perpétuelle. Ces modestes et laborieuses consciences, occupées sans cesse du même travail, ne se laissent détourner de leur œuvre ni par le mouvement de l’esprit, ni par l’afflux continuel des idées nouvelles, ni par l’écoulement du temps, ni par les effondrements qui se produisent sans cesse autour d’elles ; elles font leur tâche conservatrice infatigablement. Chaque pensée, après qu’elle nous a été présente, est confiée à quelqu’un qui n’est plus nous, mais qui est encore quelque chose de nous et qui se la redit sans cesse, afin de nous la redire à nous-mêmes ; elle est inconsciente, comme un chuchotement est un silence. L’oubli n’est qu’apparent ; et au fond de nous retentit comme un écho vivant et quelquefois ravivé de nos plus anciennes et de nos plus secrètes