Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 11.djvu/190

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
186
revue philosophique

Dans la première partie, en effet, l’inconscient nous est présenté comme un état qui n’est pas actuellement conscient, mais qui pourrait l’être, qui peut-être l’a été. Il y, a ici plusieurs degrés. On appelle quelquefois inconscient une faible conscience, une petite pefception, comme disait Leibnitz ; l’inconscient est alors le moins conscient. Ainsi entendu, le concept ne présente pas de difficulté, et il n’est personne, croyons-nous, qui se refuse à reconnaître des faits inconscients de ce genre. Mais M. Colsenet ne s’en tient pas là il prétend rompre le dernier lien, lien fragile, qui unit encore la petite perception à la conscience. Cette dernière lueur crépusculaire de conscience qui brille encore en elle, il veut l’éteindre ; ce n’est plus du moins conscient, et c’est vraiment du non conscient qu’il s’agit. Mais alors l’inconscient est-il encore quelque chose ? En quoi se distingue-t-il du néant ? Quelle idée nous faire de cette chose, qui, on nous l’assure, ne se comprend que par rapport à une conscience et qui pourtant n’a plus rien de la conscience ? Comment comprendre des représentations auxquelles manque la condition essentielle de toute représentation, c’est-à-dire le rapport à une conscience donnée ? M. Colsenet se défend avec une grande énergie de considérer les faits inconscients comme d’ordre physiologique ou mécanique ; entre les faits physiologiques et la conscience, il admet une zone intermédiaire, une région mitoyenne qui appartient déjà à la psychologie sans que la conscience y apparaisse, qui n’est plus à la physiologie quoique la conscience n’y ait pas encore paru. Mais c’est là ce qui ne saurait se concevoir. Il est impossible de définir ce qui est psychologique autrement que par la conscience à quelque degré que ce soit. La conscience n’est pas un caractère accidentel dont les faits psychiques se puissent dépouiller, comme on ôte un vètement ; elle est leur essence, leur condition sine qua non ; elle partie, ils s’évanouissent. Il nous semble impossible de sortir de ce dilemme ; ou l’inconscient n’est pas d’ordre psychique, ou, s’il est psychique, il est conscient.

Au surplus, s’il fallait entendre le concept de l’inconscient en ce sens purement négatif, quelle serait la valeur de l’explication proposée ? M. Colsenet montre à merveille que nous n’avons pas conscience de nos tendances, mais seulement des effets par lesquels elles se manifestent. Mais serons-nous bien avancés si, au terme tendance, qui est peu compréhensible, on substitue celui d’idée inconsciente, qui est tout à fait incompréhensible ?

Mais, hâtons-nous de le dire, ce n’est pas, ainsi qu’en définitive M. Colsenet entend l’inconscient. Dans la seconde partie, s’écartant peut-être du sens qu’il avait d’abord adopté (du moins ne nous a-t-il point paru apporter des explications suffisantes), il donne à ce mot une valeur positive. L’inconscient n’est plus pour lui le moins conscient, ni à plus forte raison le non conscient ; c’est, si l’on ose dire, l’autre conscient, la conscience d’un autre. L’inconscient est ce qui échappe à la conscience principale, au moi, mais est parfaitement conscient pour