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dans plusieurs endroits, l’impartialité de M. Pompeyo Gener est dominée par des idées préconçues.

Le chapitre de l’Égypte est un des plus intéressants du volume ; il est évidemment plus serré et mieux écrit que tout autre. Mais ici peut-être l’auteur a beaucoup trop vu une préoccupation de la mort. Cette Égypte qu’il peint double, vivace et souterraine est pour lui « la civilisation de la mort. » L’Égyptien au contraire ne semble-t-il pas croire profondément à la vie ? S’il embaume magnifiquement en de colossales cités mortes ses Pharaons et ses aïeux, c’est que pour lui la vie n’est qu’une évolution à d’autres existences responsables. D’ailleurs il y a peu de détails précis sur la religion égyptienne et l’explication purement naturaliste que l’auteur tire du Nil, en l’empruntant à MM. Quinet, Chabas, Lepsius, Renan, nous paraît affirmée d’une façon beaucoup trop nette.

Le chapitre sur la Phénicie profite de l’état plus avancé de la science. MM. Lenormant, Soury, Chaussart sont très utilisés dans des descriptions aspirant au coloris, d’un style d’ailleurs passable, quoique impersonnel et où nous retrouvons encore un luxe d’épithètes contre les prêtres. M. Gener affirme d’ailleurs trop nettement la destination des Meghazils qui sont pour lui des pierres phalliques. Des tourbes de dévots se précipitent dans les bois sacrés ; les processions de Byblos marchent frénétiquement ; ces descriptions ne sont point assez vivaces pour remplacer une étude sérieuse et originale.

Il est très dur pour les Hébreux et contradictoire. Après avoir dit que leurs chants sont des plaintes et leurs poèmes, des lamentations, après avoir parlé de leurs législateurs, philosophes et prophètes, il les accuse d’ignorer l’art, la science ; tour à tour il les traite de pasteurs nomades et d’hommes redoutant la lumière, les fait ennemis de l’industrie et très commerciaux. Ce peuple, il nous le montre « avare, mesquin, usurier, au point que ses législateurs sont contraints de réglementer ses spéculations. » Il lui reproche son Messie en disant qu’un peuple fort n’attend son émancipation de personne. Nous nous permettrons de faire observer à l’auteur que le code hébreu réglemente tout : charité, nourriture, et l’on ne voit pas pourquoi le législateur aurait négligé de réglementer le commerce. Qui l’autorise ensuite à mêler en quatre lignes les cérémonies fétichistes et polythéistes, ces serviles imitations des Égyptiens, et la fondation du monothéisme ? Il part de mots, du livre de Job, de textes d’une authenticité discutée, pour refuser aux Juifs la croyance à l’immortalité de l’âme. Au fond, son étude n’est qu’un réquisitoire.

M. Pompeyo Gener a donné quelques regrets à l’ancienne Grèce, à la Grèce physique, gymnastique, démocratique, utilitaire, pédagogique, fondatrice du jury, où l’on meurt esthétiquement, qui réunit dans la tombe l’amour et l’amitié et fait riante la mort. À ce propos, nous ferons une remarque l’esclavage : fut moins dur que ne le croit l’auteur ; l’étude de la grande question de l’affranchissement aurait adouci ses sentiments sur ce sujet. Eschyle est pour lui un athée plaçant