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Ch. secrétan. — religion, philosophie et science.

lui faisant de larges emprunts, et son autorité s’affermit d’autant plus qu’il s’élargit lui-même et se modère, au moins dans ses conclusions. À des degrés divers, nous en subissons tous l’influence. Mais peut-être s’abuserait-on si l’on croyait pouvoir conclure de cet ascendant momentané à son triomphe définitif, car les grandes objections subsistent dans toute leur force, et l’histoire de la pensée nous montre des époques où l’empirisme semblait aussi puissant qu’aujourd’hui, sans qu’il ait conservé cette position d’une façon durable.

Quoi qu’il en soit d’un lointain avenir, l’empirisme moderne a déjà rendu de grands services ; il peut en rendre de plus grands encore à condition de rester fidèle aux exigences de sa propre méthode. Il nous semble qu’il ne l’a pas toujours fait. Nous voudrions le montrer dans un sujet dont on comprend aisément l’importance.

I


Auguste Comte, que l’évolutionisme continue avec de larges compléments et des corrections essentielles, a distingué trois phases dans le développement intellectuel de l’humanité. Suivant lui, naturellement, toutes les questions nous sont suggérées par l’action du monde extérieur sur nos organes. Rendre raison des phénomènes sensibles lui paraît l’éternel et l’unique problème. Au début de la réflexion l’homme transporte à toute existence la notion qu’il s’est faite de lui-même. Il s’explique les phénomènes extérieurs par l’action volontaire d’êtres semblables à lui ; l’école positiviste désigne sous le nom de fétichisme cette personnification universelle des causes naturelles, et trouve un reste de fétichisme dans toutes les opinions où une volonté personnelle autre que celle de nos semblables joue un rôle quelconque dans l’univers.

M. Spencer n’admet point cette tendance de l’homme à se projeter au dehors, qui semble en effet peu compatible avec la thèse fondamentale suivant laquelle il ne tirerait rien de lui-même. Suivant ce maitre contemporain, tous les cultes, sans exception, proviennent du culte des morts, ou plus exactement des revenants, produit lui-même d’une interprétation naïve du rêve et de l’ombre. Mais cette théorie n’a pas encore eu le temps de conquérir l’opinion ; malgré l’incontestable autorité de son inventeur, nous doutons fort qu’elle parvienne à remplacer celle de Turgot et de Comte. Lors même d’ailleurs que le culte de la nature ne serait pas absolument primitif, il n’en constituerait pas moins une phase importante, et la première connue, dans le développement des peuples qui sont arrivés à la civilisation.