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Une nouvelle phase commence lorsque l’expérience continue de la régularité dans la succession des phénomènes et de l’empire que l’homme exerce sur quelques-uns d’entre eux ne permet plus de les attribuer tous indifféremment à l’action volontaire de forces personnelles. Alors l’esprit, toujours préoccupé de la conception des causes, en invente de nouvelles, qu’il doue de propriétés conçues exactement de manière à correspondre aux effets observés. Ce point de vue, qui statue derrière les phénomènes des forces ou une force capable de les produire, est désigné sous le nom de métaphysique. La métaphysique est ainsi une phase que l’intelligence doit nécessairement traverser au cours de son développement.

Cette condition de l’esprit n’est pas la dernière, car la métaphysique ne donne pas ce qu’on en espérait. Les causes invisibles des phénomènes qui composent l’expérience ne sauraient être déterminées avec certitude par aucune opération mentale. Dans ce domaine, il n’y a pas de démonstration, il n’y a pas d’évidence possible ; toutes les suppositions toutes les fictions spéculatives sont également arbitraires. L’esprit, qui ne possède aucun moyen d’atteindre les causes, finit par comprendre que cette connaissance lui serait inutile, et borne son ambition à constater avec une exactitude croissante la nature exacte des phénomènes et les lois de leur enchaînement, en soumettant au calcul les données de l’expérience.

Alors la science positive, l’ère scientifique, l’ère définitive de l’humanité commence.

L’observation qui a donné naissance à cette théorie des trois états, nous parait juste et féconde. Il n’y a sans doute rien d’absolument tranché dans leur succession ; ils existent simultanément dans le même siècle, dans le même peuple, plus encore, dans le même esprit ; mais il reste vrai que l’idéal de la science proprement dite se limite et se définit de la manière indiquée. Si le positivisme n’a pas déterminé sur ce point un progrès dans la conception que l’esprit se fait de son objet scientifique et de ses forces pour l’atteindre, du moins ne saurait-on lui refuser l’honneur de l’avoir enregistré. C’est un juste sujet de gloire.

Mais le positivisme ne s’en tient pas là ; il parallélise, ou plutôt il identifie le fétichisme avec la religion, et l’état métaphysique avec la. philosophie. Leur identification serait justifiée si l’on admettait la supposition dont elle procède, savoir que la religion, la philosophie et la science proprement dite n’ont en réalité qu’un seul et même objet l’intelligence des phénomènes qui frappent nos sens. Mais cette opinion nous semble erronée, et pour s’en convaincre nous