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Quant à la philosophie, elle est sans doute un travail de la pensée ; mais ce travail n’a point exclusivement, n’a pas même toujours essentiellement pour objet l’intelligence du monde extérieur. Si l’esprit philosophique cherche à comprendre le monde, c’est surtout parce qu’il en a besoin pour se comprendre lui-même. Il cherche à se saisir dans les racines de son être, qui plongent au delà des limites où s’arrêtent l’observation et la réflexion. La philosophie ne saurait se substituer à la religion, car elle n’est elle-même qu’un effort pour saisir par la pensée l’objet de la religion. La conscience d’une religion, telle serait, à notre sens, la vraie définition d’une philosophie, à la prendre du moins, conformément aux indications de la véritable méthode empirique, dans les types les plus purs et les plus complets que nous en offre l’histoire de la pensée, quelle que soit d’ailleurs l’opinion qu’on se fasse de la valeur de ces tentatives et de leurs chances de succès.

L’existence du matérialisme ne doit pas être opposée à notre définition. Le matérialisme lui-même se fonde sur une religion dans la mesure où il constitue une philosophie. Lui aussi prétend remonter au principe de notre être. Pour lui comme pour toute philosophie, il s’agit de réconcilier la réalité avec l’idéal, et le moyen qu’il emploie à cet effet, c’est la suppression de l’idéal. Quand, pour serrer de plus près le phénomène, il veut s’élever plus haut (ce qui suppose un plus haut), comme il s’y essaye aujourd’hui sous diverses formes, il abandonne la source de son inspiration, tout en conservant le dogme et la méthode que cette inspiration a suggérés. Il est en voie de transformation, d’évolution, si l’on veut, mais d’une évolution particulière, dont le terme logique est la négation de son point de départ. Ainsi la religion, la philosophie et la science ne sont point trois procédés d’inégale valeur pour atteindre à la solution du même problème, elles ont chacune au contraire leur problème et leur objet distincts.

II


Pour entendre le sens que nous donnons au mot philosophie, il faudrait comprendre celui de religion. Nous avons essayé de le définir, mais peut-être n’en trouvera-t-on pas l’explication suffisamment claire. Effectivement, il est assez difficile d’expliquer un mot sans s’appuyer sur certaines suppositions préalables qui ne sont pas communes à tous les lecteurs. En outre, le fait lui-même est très complexe. Chacun le prend du côté qui lui convient ; c’est pourquoi les