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Ch. secrétan. — religion, philosophie et science.

définitions d’une chose qui semblerait devoir être connue de tout le monde sont en réalité si divergentes. Suivant les positivistes, la religion serait une première conception du monde, un état particulier de l’intelligence. Un littérateur très spirituel, très sincère et d’intentions excellentes, M. Mathieu Arnold n’voit autre chose que la morale, une direction de la volonté, et les moyens de l’affermir. Une école plus nombreuse, fort ancienne, dont l’Imitation de Jésus-Christ est peut-être le monument ensemble le plus pur et le plus populaire, et que Schleiermacher a tenté de rajeunir sur l’antique base du panthéisme, fait de la religion une pure affaire de sentiment. Comment s’expliquer des conceptions si différentes d’un même fait, et d’un fait qui tient dans le monde une telle place, si l’on n’admet pas en lui quelque chose qui répond à chacune d’elles ?

Pensée, sentiment, volonté, telles sont les principales classes où se groupent les faits de conscience. Leurs distinctions subsistent. même après qu’on a reconnu que la pensée, le sentiment et la volonté entrent toujours simultanément comme parties intégrantes dans une période quelconque de notre activité concrète. Ces phénomènes supposent en nous la capacité de les produire. Quelle que soit la valeur des systèmes suivant lesquels le moi n’est qu’une concentration d’éléments provenant du dehors, et les actes spontanés en apparence, des réactions mécaniques, le point de vue subjectif de la conscience immédiate subsistera toujours dans la pratique ; la personne se reconnaîtra toujours comme telle, et distinguera toujours en elle-même une pluralité de facultés. L’abus qu’on a fait quelquefois de ce dernier mot en prêtant aux facultés une sorte d’existence indépendante et de quasi personnalité ne suffit pas pour en proscrire l’usage, indispensable lorsqu’on veut rendre compte, dans une langue intelligible, de phénomènes d’une certaine complexité. Comment éviter de dire, par exemple, que la science est essentiellement une œuvre de l’intelligence, lors même que le travail intellectuel est toujours accompagné de plaisir et de peine, et qu’il exige une intervention puissante de la volonté ? Comment ne pas reconnaître que les beaux-arts ont pour objet essentiel de nous procurer des jouissances et correspondent par ce but à notre vie de sentiment ; tandis que dans la production poétique, qui implique assurément le travail, c’est-à-dire l’action volontaire de la pensée et des organes, l’artiste véritable manifeste sa vie intérieure, c’est-à-dire que l’ensemble de ses facultés y entre en jeu sous la direction et dans l’intérêt du sentiment ?

Voilà déjà deux directions distinctes de la vie totale, dans l’une desquelles l’intelligence domine et cherche à se satisfaire, tandis que