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Ch. secrétan. — religion, philosophie et science.

Si là religion parfaite est un idéal, comme tous les objets dont s’occupe la philosophie, les traits de cet idéal sont impliqués dans les jugements que nous suggère l’expérience. Nous ne rencontrerons pas tous dans cette vie un modèle de vie religieuse à la fois intense et parfaitement équilibré ; mais la prépondérance marquée d’un élément particulier quelconque s’y fera toujours sentir comme un défaut. Il y a une religion de l’intelligence, suivant laquelle le moyen unique et suffisant de plaire à Dieu consiste dans un ensemble d’opinions sur la nature et sur l’œuvre divines, religion sèche, stérile, sans vie et sans intimité, foncièrement intolérante. Il y a une religion de sentiment, pour qui la valeur d’un homme ne se mesure pas au bien qu’il fait, mais aux émotions qu’il éprouve, qui juge de la vérité des doctrines par la satisfaction qu’elles procurent, et dont la tendance finale est d’affranchir l’homme de tous ses devoirs. Il y a des religions d’œuvres et de pratiques, où la volonté domine, tantôt œuvres de bienfaisance et de propagande, tantôt rites symboliques, accomplis comme un service agréable à Dieu par eux-mêmes, sans que ceux qui les observent y attachent un sens bien précis. Ces deux types, opposés l’un a l’autre en quelque manière, et que nous sommes bien loin de considérer comme d’égale valeur, ont ceci de commun qu’ils déterminent les actes extérieurs sans modifier les dispositions intimes. C’est encore une religion imparfaite. Quoiqu’il soit peut-être imposable que telle ou telle fonction particulière ne tende pas à prévaloir dans la religion d’un temps, d’un esprit donnés, l’idée religieuse est en souffrance ; elle est compromise du moment où cette supériorité devient exclusive. La religion d’un homme est donc un effort de son être tout entier pour se rattacher au principe dont il procède ou dont il croit procéder. C’est là, nous le répétons, une vérité d’expérience. Il n’est pas loisible à chacun d’observer en lui-même le fonctionnement de cette activité. Toutes les puissances de l’esprit humain ne sont pas discernables dans un individu quelconque. Tous ne sont pas aptes à devenir poètes ni géomètres, et nul n’y parvient sans cultiver ses dispositions naturelles : le calcul et la poésie n’appartiennent pas moins à cette humanité dont la religion, suivant un anthropologiste éminent, formerait le trait caractéristique. Personne ne comprend parfaitement la musique s’il n’est musicien, mais le simple auditeur s’en fait pourtant une idée qui n’est pas absolument sans valeur ; seulement il faut pour cela qu’il ait entendu de vraie musique, qu’il en ait entendu souvent, et qu’elle ne lui répugne pas. De même, on peut étudier la religion chez un autre, pourvu qu’elle y soit ; mais on ne l’entend pas comme la musique : il faut la sentir. La réceptivité s’étend plus loin que l’activité spontanée. Je ne puis m’empêcher de