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gieux dans son ensemble il importe au moins autant de l’étudier dans ses formes les plus élevées et les plus pures que dans les plus rudimentaires ou les plus dégradées. En observant les âmes vraiment religieuses des nations civilisées, nous y trouverons la réalisation de cette unité de la vie à laquelle il semble impossible de ne point aspirer lorsqu’on l’a conçue. Là, nous reconnaîtrons que la religion est vraiment la fonction centrale. Je l’appellerais la vie absolue si cette expression ne préjugeait pas la question de savoir jusqu’à quel point les aspirations religieuses correspondent à un objet réel.

Le but dernier de cet effort n’est rien moins que la parfaite communion de l’univers et de Dieu. Le moyen de l’atteindre est l’union morale des hommes entre eux, la pénétration réciproque des âmes dans la même pensée et dans le même amour. Le prosélytisme religieux, cause de tant de malheurs et de crimes, prend sa source au plus profond de notre être, dans le besoin de comprendre et d’être compris, dans le sentiment de l’unité humaine, qui n’est point sans doute une illusion, car la solidarité de fait qui nous enchaine ne saurait résulter d’un accident : elle accuse évidemment notre essence.

Mais l’union morale des hommes entre eux est un idéal impossible et contradictoire avant que l’unité soit établie dans la personne même qui entreprend d’y travailler. Comme accomplissement de l’unité personnelle, la fonction religieuse relève naturellement de la psychologie.

La pensée a son objet, la vérité ; le sentiment a son objet, le bonheur ; la volonté a son objet, le bien ; mais, dans l’esprit de ceux qui l’adorent, Dieu est ensemble la vérité, le bonheur et le bien, et dans l’activité de l’âme remplie de Dieu, la pensée, le sentiment et la volonté pratique se pénètrent en proportions égales, pour ainsi dire, et finissent par se confondre. « La forme caractéristique de cette activité, c’est la prière, qui est tout ensemble et simultanément contemplation de l’intelligence, émotion du cœur, résolution intérieure, enfin action directe, par la demande que nous adressons, avec l’espoir d’être entendu. Ainsi la vie instinctive, où la pensée, le sentiment et la volonté ne se distinguent point, se retrouve dans la vie suprême, le germe dans le fruit mûr. L’exercice le plus parfait de notre âme tout entière est, la prière de l’enfant. Cette pénétration réciproque de toutes les puissances de notre être se retrouve dans tous les actes véritablement religieux[1]. »

  1. Secrétan..Précis de philosophie, p. 289.