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Ch. secrétan. — religion, philosophie et science.

joies innocentes, vivant aux dépens des dames de la Galilée éprises de sa beauté, suivant la version de M. Renan, il reste le plus grand des phénomènes historiques. Pour en venir à bout, il faudrait rejeter entièrement son nom dans le mythe ou dans la légende, il faudrait oser dire que le héros des Évangiles n’a jamais vécu. Un critique illustre l’avait compris ; mais sa tentative mémorable, féconde en résultats, ne parait pas avoir abouti.

Si nous osons rappeler des faits aussi évidents, ce n’est pas afin d’établir l’importance de la question religieuse, qui s’impose plus que jamais à tout le monde, c’est pour rappeler la convenance logique de proportionner les explications à la grandeur du phénomène.

À la prendre dans les classes illettrées, la religion se résout peut-être en un reste d’habitudes sans influence sur la vie, tandis qu’un peu plus haut nous ne trouverions qu’un détritus de notions incohérentes. En remontant aux époques de foi collective et de fanatisme universel, nous ne verrions peut-être pas la croyance incontestée exercer une action beaucoup plus intime ni plus profonde ; mais cet ensemble de pratiques et d’opinions n’est que l’effet produit par la religion personnelle d’un petit nombre sur le grand nombre qui n’en a pas. Pour comprendre l’effet, il faut remonter à sa cause, il faut saisir la religion dans l’âme vraiment religieuse, et là nous constatons qu’elle n’est ni une opinion ni un sentiment, mais une vie, une concentration de toutes les forces de l’être pour s’unir à son principe par la pensée, par le sentiment et par la volonté, et pour manifester cette union par la conduite. C’est une forme d’existence particulière, dont la spécialité consiste précisément dans la pénétration de toutes les puissances qui prédominent et se réalisent chacune à son tour dans les autres formes d’activité. Tel est le résultat d’une observation impartiale du fait vivant. Il explique le phénomène historique incontestable, que la religion est la source commune des lois, des arts, des sciences mêmes, de toutes les œuvres de l’espèce qui n’ont pas immédiatement pour objet la conservation de son existence physique, bref de tout ce qui est humain dans l’humanité.

III


La philosophie à son tour, ou, si l’on veut, la métaphysique, noua semble le travail de l’esprit qui cherche à comprendre sa religion, c’est-à-dire à se rendre compte de’l’objet de son aspiration et de cette aspiration elle-même. Sans doute cet esprit veut s’expliquer le