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L’affaire n’est pas d’accepter et de développer la première conception venue d’une cause universelle des phénomènes, susceptible d’en rendre compte tellement quellement. Procéder de la sorte, c’est justifier toutes les accusations portées contre la métaphysique. Comprise ainsi, la pensée aurait le choix entre un nombre indéfini d’hypothèses, ou plutôt, dans l’absence de tout principe et de toute méthode pour diriger la spéculation et pour suppléer en quelque manière au contrôle de l’expérience, elle n’aurait pas le droit de franchir les limites du pur empirisme. Ce qui nous autorise à les franchir, ces limites, c’est l’idée innée, qui n’apparaît pourtant qu’au cours des âges. La source de la spéculation, qui est aussi le dernier fond de la curiosité scientifique, c’est l’éternelle affirmation du bien, c’est l’invincible témoignage que la raison qui se cherche en nous rend à la raison suprême. Et, comme le phénomène contredit de toutes parts cette affirmation, on ne peut voir dans la philosophie qu’une suite d’essais pour rétablir l’harmonie de notre être en réconciliant l’idée avec la réalité.

C’est ainsi qu’un nombre limité de solutions qui satisfont plus ou moins aux exigences de la pensée se reproduisent incessamment, en s’approfondissant toujours davantage à mesure que la critique en manifeste les inconséquences, et qu’il faut les accommoder aux progrès de la science expérimentale. Le choix entre elles dépend de la tendance et des aptitudes de chaque esprit. L’universelle adoption du même système philosophique supposerait dans tous les esprits, avec un besoin de se comprendre eux-mêmes assez vif pour leur faire surmonter les difficultés de son intelligence, le même équilibre des aptitudes, la parfaite unification des tendances, des désirs, des aspirations.

IV


Ainsi la philosophie s’explique et ne se prouve pas. L’empiriste et l’idéaliste font semblablement l’expérience que les thèses à leurs yeux évidentes et incontestables sont contestées par d’autres esprits. Quant à la religion, si nous en avons bien saisi la nature, il est clair qu’elle ne saurait ni s’imposer ni s’exposer. Une religion en effet ne consiste pas dans un ensemble d’opinions et de croyances susceptibles de se traduire en paroles. Une religion est une forme de la vie totale que la croyance peut éveiller et modifier en quelque mesure, mais que la croyance ne contient pas, et n’évoque pas nécessairement La croyance naît du besoin religieux et détermine à son tour la religion.