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Ch. secrétan. — religion, philosophie et science.

Mais la croyance et la religion restent deux choses dillérentes. De deux personnes qui récitent le même formulaire avec une égale sincérité, l’une peut être religieuse, tandis que l’autre ne l’est pas. Deux femmes agenouillées devant l’image du même saint, offrant deux cierges de grandeur pareille, et dont l’une prie pour obtenir des biens extérieurs ou la ruine de ses ennemis, tandis que l’autre demande la soumission et le courage, ont en réalité deux religions différentes ; mais chacune est au fond de la même religion que ceux qui présentent les mêmes requêtes qu’elle, sans brûler de cierge et sans réclamer l’intercession des saints. Loin de constituer la religion elle-même, les opinions religieuses, qui peuvent se transmettre par l’enseignement, ne la modifient pas toujours d’une façon bien profonde, à tel point que la classification des religions et celle des sectes devraient partir de principes assez différents.

Cependant la religion se transmet d’âme en âme, l’histoire le prouve ; mais la manière dont elle se propage échappe à l’analyse : c’est une contagion plutôt qu’un enseignement. Des catéchumènes du même pasteur, si nous les prenons d’un certain âge, plusieurs n’admettront pas ce qu’il dit, les uns parce que ces opinions sont mal portées, d’autres parce qu’elles choquent leur raison : parmi ceux qui le croiront, la majorité vraisemblablement n’en restera pas moins ce qu’elle était, à la réserve peut-être de quelques observances extérieures ; mais quelques-uns en seront modifiés dans leurs mobiles, dans leurs sentiments et dans leur conduite, à des degrés et suivant des modes variables. Et pourtant la communion des âmes est une aspiration qui ne reste pas toujours inassouvie. La similarité des croyances amène la communauté des affections et des efforts. La religion n’a de réalité que dans les âmes ; elle n’existe actuellement que dans certaines âmes. C’est là seulement qu’on la peut observer. Si l’on s’y prête et si l’on perçoit ainsi qu’elle est bien ce que nous pensons, une activité totale où la pensée et l’imagination, le sentiment et la volonté fonctionnent sans se distinguer, mais où la volonté est pourtant la puissance motrice, si l’on comprend qu’elle est, dans sa généralité la plus grande, une tentative d’action, directe ou indirecte, de la volonté religieuse sur des volontés invisibles dont l’existence est supposée, et, dans sa forme la plus pure, une action de la volonté religieuse sur elle-même tout ensemble et sur la volonté suprême, pour établir l’harmonie entre elles et réaliser l’ordre absolu qu’elle affirme, on verra sans difficulté pourquoi la religion ne se démontre pas. Mais, après avoir constaté la réalité de la vie religieuse dans quelques individus ou dans un seul, il faudra bien se demander s’il est concevable qu’une fonction d’une nature aussi particulière se manifeste chez quelques-