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commune des structures politiques, avons-nous aussi cessé d’apercevoir clairement l’origine de leur puissance ? Il vaut la peine de s’arrêter un moment à considérer combien nous sommes enclins à oublier ce qui est loin quand nous pensons à ce qui est près.

Quand on voit dans une tempête les flots démolir un vaisseau naufragé ou arracher les rochers des jetées, on est frappé de l’énormité de leur puissance. Mais, dès que l’on remarque que faute de vent rien de pareil ne se produit, on reconnaît que la mer est par elle-même sans force, et que la force qui la met en état de détruire des vaisseaux et des massifs de maçonnerie provient des courants d’air qui bouleversent sa surface. Pourtant si l’on s’arrêtait là, on manquerait de reconnaître la force qui opère ces changements saisissants. En lui-même l’air est aussi passif que l’eau. Il n’y aurait pas de vent sans les effets variables de la chaleur solaire sur les différentes parties de la surface de la terre. Ce n’est pas tout : il ne suffit pas d’avoir reporté jusque-là l’origine de la force qui mine les rochers et les roule, pour en avoir atteint la source, il faut aller plus loin ; sans la concentration continue de la masse solaire, causée par la gravitation mutuelle de ses parties, il n’y aurait point de radiation solaire.

Le penchant, dont nous donnons ici un exemple, qui porte tout le monde plus ou moins à attribuer la force à l’appareil visible qui l’exerce, plutôt qu’à la source inaperçue d’où elle provient, a, comme nous l’avons senti déjà, une influence fâcheuse sur nos idées en général et entre autres sur nos idées politiques. Sans doute l’habitude, générale dans le passé, de considérer la puissance des gouvernements comme leur étant inhérente, s’est passablement modifiée, grâce au développement des institutions populaires ; cependant, même aujourd’hui, on ne saisit pas clairement que les gouvernements n’ont pas de puissance par eux-mêmes, mais qu’ils ne sont que des appareils par le moyen desquels une puissance agit. Cette puissance existait avant la naissance d’aucun gouvernement ; c’est par elle que les gouvernements ont été produits, et elle demeure toujours la force qui, sous des déguisements plus ou moins complets, agit par leur moyen. Remontons à l’origine.

Les Groënlandais sont entièrement sans autorité politique ; il n’y a chez eux rien qui y ressemble, si ce n’est le tribut de déférence payé à l’opinion de quelque vieillard, habile à la chasse au phoque et savant dans l’interprétation des signes du temps. Mais un Groënlandais lésé par un autre trouve un remède à ses griefs dans ce qu’on appelle dans ce pays un combat de chant. Il compose un poème satirique et défie son adversaire à un duel satirique en présence de la tribu : « celui