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h. spencer. — des formes et des forces politiques.

à qui reste le dernier mot gagne le procès. » Selon Crantz, « nulle cause ne contribue plus à préserver le Groënlandais du vice que la crainte du déshonneur. » Voilà, à l’œuvre dans sa forme originelle et absolue, l’influence gouvernante, du sentiment public qui précède les influences gouvernantes plus spéciales. À la crainte de la réprobation sociale s’ajoute, quelquefois celle du bannissement. Chez les Australiens, d’ailleurs insubordonnés, « on punit quelquefois les crimes tels que le vol par l’expulsion du camp. Il est une tribu colombienne, « les Saliches, dont on peut à peine dire qu’ils possèdent une forme régulière de gouvernement ; » nous apprenons cependant « qu’ils punissent quelquefois les criminels en les bannissant de leur tribu. » Des naturels des montagnes de l’Inde, d’un type très datèrent de celui des Colombiens, comme aussi de mœurs très différentes, nous offrent un exemple du rapport analogue qui existe entre l’état rudimentaire du frein politique et le frein du sentiment commun. Chez les Bodos et Dhimals, dont les chefs ne sont que des vieillards respectés sans autorité coercitive, ceux qui enfreignent les coutumes « sont avertis, mis à l’amende ou excommuniés, selon le degré de l’infraction. » Mais l’influence du sentiment public dans des groupes qui n’ont que peu ou point d’organisation politique se révèle surtout dans la force avec laquelle elle agit sur les individus qui sont tenus de venger un meurtre. Chez les naturels d’Australie, dit sir George Grey, « le devoir le plus sacré qu’un indigène doive remplir est celui de venger la mort de l’homme dont il est le plus proche parent, car ce devoir lui incombe à lui particulièrement ; tant qu’il ne s’est pas acquitté de cette obligation, il demeure en butte aux brocards des vieilles femmes ; ses femmes, s’il est marié, ne tarderaient pas à le quitter s’il ne l’est pas, aucune jeune femme ne voudrait lui parler ; sa mère ne cesserait de se lamenter et de se reprocher d’avoir donné le jour à un fils si dégénéré ; son père le traiterait avec mépris, et des paroles de reproche résonneraient sans cesse à ses oreilles. »

Nous avons ensuite à remarquer que longtemps encore après son apparition l’autorité politique, demeure visiblemment subordonnée à l’autorité du sentiment général ; il y a pour cela deux raisons, d’abord parce que, tant qu’il n’existe pas d’organisation politique développée, le chef n’est guère en état d’imposer sa volonté, et ensuite parce que s’il veut se servir de son pouvoir, il provoque la désertion. Nous en trouvons des exemples dans toutes les parties du monde. En Amérique, chez les Indiens Serpents, « chacun est son propre maître, et sa conduite n’est soumise à aucune autre autorité que les conseils du chef appuyés par l’influence qu’il exerce