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en grande partie d’individus subjugués, asservis par une force supérieure, la relation normale cesse d’exister. Il ne faut pas s’attendre à trouver dans L’autorité imposée par la force par un envahisseur les caractères d’une autorité qui s’est développée au sein même de la société. Les sociétés formées par la conquête peuvent être et sont fréquemment composées de deux sociétés en grande partie, sinon entièrement étrangères l’une à l’autre : d’où il résulte qu’on n’y saurait trouver rien de ce sentiment commun qui peut s’incarner dans une force politique dérivée de la communauté totale. Dans ces conditions, ou bien le chef politique tire exclusivement sa puissance du sentiment de la partie qui domine dans la société, ou bien il oppose les unes aux autres les diverses masses de sentiments formés dans les parties élevées et basses de la nation, et acquiert par là les moyens de donner à sa volonté personnelle le rôle principal.

Ces réserves faites, on peut encore soutenir que d’ordinaire presque toute la force exercée par l’appareil gouvernemental provient des sentiments de la partie de la société qui est capable de les manifester, sinon de la société tout entière. Si l’opinion de la société inférieure, subjuguée et sans armes, n’a plus qu’une faible valeur comme facteur politique, l’opinion de la partie dominante et armée demeure la principale cause de l’action politique. On nous raconte qu’au Congo « le roi qui gouverne despotiquement son peuple est souvent inquiété dans l’exercice de son pouvoir par les princes ses vassaux ; » qu’au Dahomey, où le gouvernement est despotique, « les ministres, les capitaines et les prêtres peuvent être punis individuellement par le roi, et qu’ils le sont souvent ; mais qu’ensemble ils sont plus forts que lui, et qu’il cesserait bientôt de régner s’il venait a perdre leur concours cordial ;» c’est cela même qui s’est passé et qui se passe encore dans les sociétés dont l’histoire est le mieux connue, où le pouvoir du chef suprême est absolu de nom. Depuis l’époque où les empereurs romains étaient proclamés par les soldats et mis à mort par eux, quand ils cessaient de leur plaire, jusqu’à nos jours où, en Russie par exemple, le vœu de l’armée fait souvent incliner la volonté du czar, les exemples sont nombreux où l’on voit un autocrate fort ou faible suivant qu’il s’appuie sur la majorité ou qu’il n’a pour lui que la minorité des classes influentes, et les sentiments même de ceux qui sont prosternés au point de vue politique influer sur l’action politique, par exemple, l’influence du fanatisme turc sur les décisions du sultan.

Il y a des faits qu’il faut rappeler pour apprécier justement la force de la volonté commune en comparaison de celle de la volonté d’un autocrate. L’autocrate est obligé de respecter et de conserver