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h. spencer. — des formes et des forces politiques.

l’ensemble des institutions et des lois, produits des sentiments et des idées du passé auxquels s’attache une sanction religieuse ; ce l’ensemble des institutions et des lois, produits des sentiments et des idées du passé auxquels s’attache une sanction religieuse ce qui fait que dans l’ancienne Égypte des dynasties de despotes vivent et meurent, laissant après elles un ordre social qui n’a subi aucun changement essentiel. Un changement sérieux de l’ordre social, en désaccord avec le sentiment général, sera probablement aboli bientôt après ; en Égypte, par exemple, Amenotep IV, en dépit d’une révolte, réussit à établir une religion nouvelle qui fut abolie sous le règne suivant. Ajoutons que les lois les plus en désaccord avec la volonté générale demeurent sans effet ; c’est ainsi que les lois somptuaires édictées par les rois du moyen âge et sans cesse remises en vigueur échouèrent constamment. Malgré son rang suprême et la nature divine dont on le fait participer, le roi, tout-puissant, ne laisse pas d’être enchaîné par des usages qui font souvent de sa vie un véritable esclavage : les opinions des vivants l’obligent à obéir aux prescriptions des morts. S’il ne s’y conforme pas ou s’il soulève par ses actes l’explosion de sentiments hostiles, ses serviteurs civils et militaires lui refusent l’obéissance et se tournent contre lui ; enfin, quand le mécontentement est extrême, on peut voir un exemple de « despotisme tempéré par l’assassinat ». Dans les sociétés où l’on détrône de temps en temps un autocrate odieux, il est d’habitude qu’on élève au pouvoir un autre autocrate : c’est que le sentiment général non seulement tolère, mais désire l’autocratie. Le sentiment que les uns appellent loyauté et les autres servilité, a le double effet de créer le souverain absolu et de lui conférer le pouvoir qu’il exerce.

Mais le principe cardinal qu’il est difficile d’apprécier exactement, c’est que, si les formes et les lois de chaque société sont les produits consolidés des émotions et des idées de ceux qui ont vécu dans le passé, elles deviennent efficaces par l’autorité qu’elles exercent sur les émotions et les idées existantes. Nous savons tous comment l’idée de la main-morte gouverne les actes des vivants dans l’usage qu’ils font de la propriété ; mais la puissance de la main-morte dans le gouvernement de la vie en général au moyen du système politique en vigueur est immensément plus forte. La force qui, d’heure en heure et dans tout pays, soumise ou non à un régime despotique, produit l’obéissance qui rend l’action politique possible, c’est le sentiment accumulé et organisé à l’égard d’institutions héréditaires consacrées par la tradition. C’est pourquoi l’on ne saurait nier que, pris dans son sens le plus large, le sentiment de la communauté soit l’unique source du pouvoir politique, chez les sociétés au moins qui ne sont point soumises à la domination étrangère. Dans le fond, il