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h. spencer. — des formes et des forces politiques.

suscité par les circonstances du moment, je n’entends pas seulement parler des preuves qui montrent que chez nous les actions gouvernementales sont habituellement déterminées par ces causes, et que les actions de tous les corps de moindre importance, constitués pour un temps ou pour une longue durée, obéissent aussi aux mêmes causes. Je fais plutôt allusion aux exemples de l’autorité irrésistible exercée par le sentiment et l’opinion de la moyenne sur la conduite en général. Des faits tels que les suivants, l’impuissance des lois à empêcher les duels tant que l’opinion publique leur est favorable, l’impuissance absolue des commandements de la religion appuyés de menaces de damnation, à empêcher les agressions les plus injustes quand les intérêts et les passions dominantes y poussent, ces faits suffisent à montrer que les codes, les croyances religieuses et les appareils de gouvernement qui les imposent, demeurent inefficaces en face d’un sentiment opposé. Quand on songe à l’ardeur avec laquelle on recherche les applaudissements et à la crainte qu’inspire la défaveur publique, ces stimulants et ces freins de l’homme, on ne saurait contester que les manifestations diffuses du sentiment dictent habituellement le cours de sa conduite une fois qu’il a donné satisfaction à ses besoins urgents. On n’a qu’à considérer le code social qui règle les actes de la vie, même jusqu’à la couleur d’une cravate, et à remarquer que tel qui n’ose enfreindre ce code n’a aucune hésitation à faire un acte de contrebande, pour reconnaître qu’une loi non écrite imposée par l’opinion est plus impérative qu’une loi écrite qui n’a point cette sanction. Bien plus, à voir le mépris qu’on affecte pour de justes réclamations de créanciers, qui ne peuvent obtenir leur argent pour prix des biens qu’ils ont cédés, tandis qu’on se montre si prompt à s’acquitter de prétendues dettes d’honneur envers des gens qui n’ont donné ni biens ni services, on reconnaît que l’empire du sentiment prédominant, que ni la loi ni la religion n’imposent, peut être plus puissant que la loi et la religion ensemble soutenues par un sentiment moins fortement exprimé. Un regard jeté sur l’ensemble des actions des hommes nous oblige à reconnaître qu’ils demeurent encore, comme ils l’étaient au début de la vie sociale, dirigés par le sentiment commun, passé et présent et que l’appareil politique, produit lui-même graduellement développé de ce sentiment, demeure encore le principal organe d’une portion spécialisée de ce sentiment, pour régler certains genres d’actions.

Je me sens en quelque sorte obligé de formuler cette induction comme un élément essentiel de la théorie politique. Mon excuse pour avoir insisté un peu longuement sur une conclusion qui paraît