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P. TANNERY. — l’éducation platonicienne

ensuite les conséquences de cette hypothèse jusqu’à ce qu’on arrive à une relation qui exprime une proposition déjà démontrée ou comporte un problème que l’on sait résoudre.

Que Platon soit, à proprement parler, l’inventeur de ce procédé, il n’y faut pas songer ; dès qu’on a fait des mathématiques, on a fait de l’analyse, au moins comme M. Jourdain faisait de la prose. Il suffit de remarquer que les démonstrations apagogiques (par réduction à l’absurde), connues des pythagoriciens, ne sont au fond qu’un cas particulier de la méthode analytique ; que, avant Platon, Hippocrate de Chios savait comment on ramène un problème à un autre.

Le mérite de Platon ne peut donc avoir consisté qu’à donner à cette méthode une forme régulière, et cette forme ne peut être que celle qui est restée classique dans toute l’antiquité.

Or cette forme présente comme caractère constant, essentiel, l’adjonction à l’analyse à la marche en remontant de l’inconnu au connu, d’une synthèse dans laquelle la marche inverse est suivie.

C’est en particulier sur la nécessité de cette synthèse qu’a dû se porter l’esprit philosophique de Platon, car cette double marche ascendante et descendante est bien l’image de celle qu’il a décrite pour la διάνοια et le νοῦς ; à l’analyse correspond l’ἐπανάβασις, à la synthèse le συνορᾷν.

Ainsi la synthèse est une partie intégrante de la méthode ; elle est la vérification de l’analyse, la preuve qu’on ne s’est pas trompé dans les raisonnements ou les calculs ; parfois, et nous verrons à quelles conditions, on peut l’éviter ; mais alors les anciens ne manquaient pas de dire : « Quant à la synthèse, elle est évidente. » Ἡ δὲ σύνθεσις φανερὰ.

Au contraire, il n’y a pas de synthèse s’il n’y a pas eu d’analyse ; la première n’existe pas indépendamment de ta seconde. À la vérité, pour démontrer un théorème, on peut supprimer l’analyse et se contenter d’exposer la synthèse ; de même pour la solution d’un problème ; mais il n’y a pas de méthode synthétique, et la démonstration n’est pas satisfaisante, en ce sens qu’on n’est point assuré que les conditions de l’énoncé, prouvées suffisantes, sont toutes nécessaires ; la solution est insuffisante, car on ne sait point s’il n’en existe pas d’autre.

La cause de l’erreur commune à cet égard est que le début de la géométrie a été constitué en allant du connu à l’inconnu, sous une forme qui est semblable à celle de la synthèse. Mais, d’une part, cela était nécessaire, car la méthode analytique, pour s’exercer, réclame l’acquis de connaissances déjà étendues ; d’un autre côté, la vérité est que la géométrie a été constituée sans méthode et en tâtonnant.