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nouvelle métaphysique, seulement dans la limite de ses besoins ou de ses postulats.

Le noumène, la liberté transcendante en opposition avec la nature, l’impératif catégorique et absolu, enfin la méthode morale en métaphysique, c’est-à-dire « l’acte de foi morale » qui permet « de franchir les bornes de la pensée en même temps que celles de la nature[1] », et dont la foi religieuse est le naturel complément, tels sont, sous la variété des doctrines individuelles dont nous ne pouvons ici nous occuper, les traits essentiels du vrai kantisme, encore très répandu en Allemagne, plus disséminé et plus mêlé en France et en Angleterre.

La primauté de la raison pratique est la conclusion des kantiens orthodoxes comme elle est celle des criticistes. Tous s’accordent à présenter les thèses de la métaphysique comme de simples croyances fondées sur une nécessité morale, sur un devoir[2] L’ailiquid ïnconcussum du kantisme, sous toutes ses formes, est donc la loi morale. Cette conception de la philosophie est un dogmatisme d’un nouveau genre, soutenu précisément par des esprits critiques. Nous avons déjà vu à quelles objections elle donne lieu chez les criticistes. Il s’agit de savoir si, chez les kantiens orthodoxes, elle ne prêtera point le flanc à des objections analogues ? Inutile d’insister sur la gravité du problème puisqu’il s’agit du fondement même de la morale et de toutes les croyances qui s’y rattachent.

I

LA METHODE KANTIENNE.
NÉCESSITÉ D’UNE CRITIQUE DE LA MORALITE ET DU DEVOIR.
COMMENT LES KANTIENS S’EN DISPENSENT.


Pour bien comprendre la façon dont Kant procède, il faut comparer la critique de l’intelligence spéculative à celle de l’intelligence pratique. Tout le monde a remarqué qu’il y a de l’une à l’autre un changement à vue ; mais ce changement est beaucoup plus étendu

  1. J. Lachelier, Du fondement de l’induction, p. 112.
  2. La seule différence entre les kantiens purs et les criticistes est que ces derniers, on s’en souvient, placent la croyance sous la science comme sous la métaphysique. Les uns et les autres n’en tendent pas moins à faire du devoir le vrai et premier principe de toutes choses, y compris la spéculation et selon les criticistes, la science même, puisque, d’après ceux-ci, ta croyance, est au commencement de la science et que le devoir seul peut donner un caractère de nécessité à la croyance. — Voir la Revue du 1er janvier.