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j. delbœuf. — le dernier livre de g. h. lewes

pétue si dignement la gloire paternelle, avait rapporté de ses voyages un raton laveur. Cet animal était devenu familier. On le mettait mainte fois au jardin, en l’attachant à une longue chaîne. Il passait alors son temps à fouiller la terre avec ses pattes et son museau pour en tirer les colimaçons qu’il y trouvait en masse et qu’il croquait avec voracité. Mais il avait vite épuisé les richesses du cercle où il pouvait se mouvoir. Un jour, nous nous mîmes à lui chercher nous-mêmes des provisions. Il happait avec avidité tous les coquillages que nous lui apportions. Nous lui en présentâmes de vides. Il les accepta d’abord ; mais, après quelques surprises, la défiance surgit dans son esprit il soupesait désormais tous ceux qu’on lui donnait, triait soigneusement les bons et rejetait les mauvais. Nous nous avisâmes alors de remplir de terre des coquilles vides. L’animal se fit encore prendre à cette nouvelle ruse deux ou trois fois, mais non davantage. Il eut soin dès lors de frotter délicatement entre ses pattes de devant chaque coquille qu’on lui offrait introduisant même ses doigts dans l’ouverture, et il ne mettait à la bouche que les bonnes.

Résumons. Sensations, images, idées sont des signes ; mais les idées sont des signes abstraits et non concrets, formés d’éléments différents et substitués aux groupes avec lesquels ils sont associés. Les sensations et les images sont le produit de lois physiologiques et psychologiques. Dans la formation des idées interviennent en outre des lois sociologiques.

Le langage, en effet — le langage humain, s’entend, et non pas ce langage universel dont on ne peut dénier la possession aux animaux — le langage est un produit social et non physiologique. C’est à la faculté de séparer les aspects variés des choses et de les fixer dans des noms, que nous sommes redevables de notre supériorité mentale. Pour la société, le langage est un milieu conjonctif qui en rehausse toutes les fonctions. La puissance des signes est incalculable. L’histoire des mathématiques le prouve. Certes, il ne faut pas aller jusqu’à dire que nous ne connaissons que ce à quoi nous avons donné un nom ; mais le fait est que, grâce au langage, nous construisons les objets dans le sens philosophique du mot.

Telle est l’analyse de ce que Lewes nous a laissé sur le quatrième problème. Il est une question à côté de laquelle il passe sans cesse, qu’il était peut-être dans ses intentions d’examiner, et qui se dresse tout naturellement devant l’esprit de celui qui lit ces pages étincelantes et rapides. Sans contredit, l’homme doit sa supériorité sur les animaux au langage, et le langage n’est au fond que la faculté d’associer aux images des signes artificiels, qu’on peut produire à volonté.