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LES CHEFS POLITIQUES[1]


On constate dès le début des sociétés l’existence de trois éléments de la structure politique ; nous allons étudier le développement du premier. Nous avons dit quelque chose dans les deux derniers articles, et nous avons fait pressentir davantage sur la différenciation très importante qui résulte de l’établissement de l’autorité d’un chef. Ce que nous en avons dit au point de vue général, nous avons à l’étudier aux divers points de vue particuliers.

« Rink ayant demandé aux naturels de Nicobar qui était le chef parmi eux, ceux-ci se mirent à rire à la pensée qu’il pût croire qu’un seul homme eût quelque puissance sur un si grand nombre de ses semblables. » Je cite ce passage pour rappeler la résistance opposée au début à la prétention d’un membre du groupe à s’arroger la suprématie, résistance faible dans quelques races humaines, considérable dans la plupart, et très forte dans un petit nombre. Aux exemples déjà cités de tribus qui n’ont pour ainsi dire pas de chef, on peut en ajouter d’autres : en Amérique, les Haïdahs, chez lesquels « tous les individus semblent égaux »; les tribus californiennes, chez lesquelles « chacun fait ce qu’il veut » ; les Navajos, chez qui « chacun est souverain dans son propre droit comme un guerrier » ; en Asie, les Angamies, qui « n’ont pas de chef reconnu, bien qu’ils élisent un homme chargé de porter la parole, qui en toute circonstance est sans pouvoir et irresponsable. »

La faible subordination que montrent les groupes grossiers ne se révèle que lorsque le besoin d’une action combinée se fait sentir impérieusement et que l’autorité est nécessaire pour rendre cette action efficace. Au lieu de rappeler les exemples déjà cités d’autorité temporaire de chefs, nous allons en donner d’autres. Les naturels de la basse Californie « ont un ou plusieurs chefs pour les conduire à la guerre ou à la chasse, et on les choisit pour la circonstance. » On dit que la « puissance des chefs des Têtes-Plates cesse avec la guerre ». Chez les Indiens de Vancouver, le chef « n’a aucune autorité et se borne à diriger les mouvements de sa bande dans les incursions de guerre ».

  1. Voir les numéros précédents de la Revue.