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qu’on tue ou qu’on laisse mourir les vieillards, il n’en demeure pas moins que, tant que le vieillard conserve sa capacité, l’expérience plus grande qui est le privilège de son âge lui assure généralement l’influence. Les Esquimaux qui n’ont pas de chef témoignent « de la déférence aux anciens et aux forts ». Burchel dit que, chez les Boschismans, les vieillards semblent exercer l’autorité de chefs jusqu’à un certain point ; il en est de même des naturels d’Australie. Chez les Fuégiens, « les jeunes gens acceptent comme une loi la parole d’un vieillard. » Chaque parti de Veddahs « a un chef, le plus énergique ancien de la tribu, » qui partage le miel, etc. Il en est de même chez des peuples plus avancés. Les Dayaks du nord de Bornéo « n’ont pas de chefs reconnus ; mais ils suivent les conseils du vieillard dont ils sont les parents ; » enfin Edwards nous apprend que les Caraïbes, chez lesquels il n’existe pas de gouvernement, « reconnaissaient une espèce d’autorité à leurs vieillards. »

Naturellement, dans les sociétés grossières, la force donne la prééminence. Outre l’influence de l’âge, « la force du corps procure la distinction chez les Boschismans. » Les chefs des Tasmaniens étaient des hommes de grande taille et très forts « au lieu d’un chef électif ou héréditaire, on obéissait au matamore de la tribu. » Une remarque de Sturt donne à penser que la souveraineté a eu chez les Australiens la même origine. Pareillement dans l’Amérique du Sud. Chez les Tapajos, nous dit Bates, « on pouvait distinguer les traces du chef de celles des autres membres de la tribu à leur grandeur et à la longueur des enjambées. » Dans les tribus de Bédouins, « le plus violent, le plus fort, le plus habile acquiert une autorité complète sur ses compagnons. » À une période plus avancée, la vigueur physique demeure encore une qualité des plus importantes ; dans la Grèce homérique, par exemple, où l’âge ne compensait pas même le déclin de la force, « un vieux chef, comme Pélée et Laërte, ne peut garder sa position. » Enfin, dans l’Europe du moyen âge, la conservation de l’autorité dépendait beaucoup des prouesses du chef.

La supériorité mentale seule, ou unie à d’autres qualités, est généralement une cause de prédominance. Chez les Indiens Serpents, le chef n’est que « la personne qui entre tous les guerriers inspire le plus de confiance. » Le chef reconnu chez les Cricks, dit Schoolcraft, « ne s’élève au-dessus des autres que par la supériorité de ses talents et de sa capacité politique a et, chez les Comanches, « la position d’un chef n’est pas héréditaire, mais elle est le résultat de son habileté, de la supériorité de son savoir ou de ses succès à la guerre. ? » Un chef chez les Coroados est un guerrier « qui par sa force, son adresse et son courage a gagné quelque autorité sur eux. »