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la tribu en des occasions chaque jour renouvelées, il est encore plus vrai qu’unie au courage elle est dans la guerre une cause de prédominance. La guerre est donc une cause dont l’effet est d’affermir toujours davantage toute autorité naissante de ce genre. Quelque répugnance que les membres de la tribu aient à reconnaître l’autorité de l’un d’entre eux, ce sentiment doit s’effacer devant le besoin de sécurité, quand la reconnaissance de cette autorité assure la sécurité.

L’élévation au pouvoir du guerrier le plus fort et le plus courageux est d’abord spontanée, et plus tard le commun accord la rend plus définie ; quelquefois, elle est soumise à une épreuve. En Australie, où un guerrier « n’est estimé des autres que d’après son adresse à jeter ou à esquiver un épieu », il est possible que la capacité plus grande pour la guerre dont un guerrier fait preuve soit la cause de l’autorité temporaire qu’on observe dans ce pays. Nous voyons encore cette genèse naturelle du commandement chez les Comanches, où quiconque se distingue en prenant beaucoup de « chevaux et de chevelures peut aspirer au rang de chef, et y est peu à peu élevé par le consentement populaire ». Cependant le plus communément l’élévation du chef est l’effet d’un choix délibéré, par exemple chez les Têtes-Plates, où, « à l’exception des chefs de guerre, personne n’exerce aucune autorité, » Dans quelques tribus de Dayaks, on met à l’épreuve à la fois la force et le courage. Chez les Dayaks des bords de la mer, une qualité nécessaire pour un chef de guerre est l’adresse à grimper à un gros mât bien graissé. Enfin Saint-John raconte que, dans certains cas, « c’était l’usage, quand on voulait décider qui serait le chef, que les rivaux se missent en quête d’une tête ; le premier qui rapportait ce trophée était proclamé vainqueur. »

En outre, la nécessité d’avoir un chef utile a pour résultat de restaurer l’institution partout où elle est devenue nominale ou faible. « L’expérience, dit Edwards, a appris aux Caraïbes que la discipline est aussi nécessaire que le courage ils choisissent leurs capitaines avec grande solennité dans les assemblées générales, et soumettent les prétendants à des épreuves d’une odieuse barbarie. » De même chez les Abipones, « qui ne redoutent pas leur cacique comme juge, pas plus qu’ils ne l’honorent comme maître, mais qui ne laissent pas de le suivre comme chef et souverain à la guerre, partout où il faut attaquer ou repousser l’ennemi. »

Ces faits et d’autres analogues entraînent trois conséquences voisines l’une de l’autre. D’abord la continuité de la guerre entraîne la continuité de l’autorité du chef. Ensuite, à mesure que le chef voit croître son influence comme commandant militaire heureux, il en