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Il est donc certain qu’un facteur important de la genèse de l’autorité politique d’un chef est un produit de la théorie animiste et de la croyance que des hommes qui ont acquis puissance sur les esprits peuvent s’assurer leur obéissance. Généralement, le chef et le sorcier ne sont pas la même personne ; et alors il existe entre eux un certain antagonisme ; ils sont rivaux d’autorité. Mais lorsque le chef politique ajoute, à la puissance qu’il a acquise par des moyens naturels, cette autre puissance prétendue surnaturelle, son autorité s’en trouve considérablement augmentée. Les membres de sa tribu qui seraient tentés de lui résister, si la vaillance seule pouvait décider entre eux ne l’osent point s’ils le croient maître de leur envoyer quelqu’un de sa garde d’esprits pour les tourmenter. Nous avons des preuves que les chefs désirent réunir en leur personne ces deux caractères. Canon Callaway nous dit que, chez les Amazoulous, un chef cherche à découvrir les secrets d’un sorcier ; après quoi il le tue.

Revient la question de savoir comment l’institution du chef devient permanente. L’autorité politique qui provient de la force du corps, ou du courage, ou de la sagacité, même fortifiée par l’assistance surnaturelle, prend fin avec la vie du sauvage qui l’acquiert. Le principe de la capacité physique ou mentale qui suffit à produire la différenciation temporaire entre le gouvernant et le gouverné, ne suffit pas à produire une différenciation permanente. Il y faut le concours d’une autre cause que nous allons examiner.

Nous avons déjà vu que même dans les groupes les plus grossiers l’âge donne quelque supériorité. Chez les Fuégiens et les Australiens, non seulement les hommes vieux, mais les vieilles femmes, exercent l’autorité. Un fait intéressant donne à penser que le respect pour la vieillesse, en dehors de toute autre distinction, est une cause puissante de subordination politique ; c’est que dans plusieurs sociétés avancées, où le gouvernement revêt un caractère extrêmement coercitif, le respect dû à l’âge prend le pas sur toutes les autres causes. Sharpe fait remarquer que dans l’ancienne Égypte, « comme en Judée et en Perse, la mère du roi prenait souvent rang au-dessus de sa femme. » En Chine, en dépit de la condition inférieure des femmes au double point de vue social et domestique, on observe la suprématie de la mère, qui ne le cède qu’au père ; et l’on voit la même chose au Japon. Je peux citer un autre exemple encore à l’appui de l’idée que l’assujettissement aux parents prépare à l’assujettissement aux chefs. Chez les Coroados, dont les groupes ont si peu de cohésion, « le pajé n’a pas plus d’influence qu’un autre sur la volonté de la multitude, parce que les Coroados vivent sans