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temporaire ce que nous repoussons à titre définitif. Les faits nous obligent à admettre que la soumission à des souverains despotiques a largement contribué au progrès de la civilisation, l’induction et la séduction le prouvent à l’envi.

Si, d’une part, nous groupons ensemble les hordes nomades sans chefs, appartenant à diverses races humaines, que l’on trouve sur divers points du globe, nous apercevons que, lorsque l’organisation politique fait défaut, il y a peu de progrès ; et, si nous considérons ces troupes simples qui n’ont que des chefs nominaux, nous voyons que, bien qu’ils présentent quelque développement des arts industriels et une certaine coopération, le progrès y est faible. Si, d’autre part, nous jetons les yeux sur les anciennes sociétés où la civilisation atteignit de bonne heure une hauteur considérable, nous les voyons soumises à un gouvernement autocratique. En Amérique, le gouvernement purement personnel, limité par la seule autorité des coutumes, était le propre des États du Mexique, de l’Amérique centrale et des Chibchas. Au Pérou, le roi divin exerçait un pouvoir absolu. En Afrique, l’ancienne Égypte fut un exemple éclatant de la relation qui unit le gouvernement despotique et l’évolution sociale. Dans le passé lointain, l’Asie en a fourni des exemples répétés, depuis la civilisation accadienne. Les civilisations encore existantes de Siam, de Birmanie, de la Chine et du Japon en sont de nouveaux exemples. Les sociétés européennes primitives, quand elles n’obéissaient pas à un despotisme centralisé, obéissaient au moins au despotisme patriarcal diffus. Ce n’est que chez les peuples modernes, dont les ancêtres ont subi la discipline de ce régime social et qui ont hérité de son empreinte, que l’on voit habituellement la civilisation se séparer de l’assujettissement à la volonté d’une personne.

On reconnaît encore mieux que l’absolutisme a été nécessaire, quand on observe que, dans la lutte pour l’existence entre les sociétés, les vainqueurs ont été ceux qui, toutes choses égales, ont été le plus subordonnés à leurs chefs et rois. Puisqu’aux premiers âges la subordination militaire et la subordination sociale vont de pair, il s’ensuit que pendant longtemps les sociétés conquérantes demeurent soumises à un régime despotique. Les exceptions que l’histoire semble objecter sont en réalité la confirmation de la règle. Dans la lutte entre la Perse et la Grèce, les Grecs n’ont dû qu’à un pur accident de n’être pas détruits par la division des conseils qui résulte de l’absence de soumission à un chef unique. Enfin l’habitude de nommer un dictateur aux moments où l’ennemi mettait la république en péril donne à penser que les Romains avaient découvert que la supériorité à la guerre a pour condition nécessaire une absolue autorité.