Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 11.djvu/430

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
426
revue philosophique

exemple, enferme-t-il un nombre immense, mais fini, d’individus ? Le sensualisme inclinerait peut-être à le croire ; mais il est manifeste qu’un nombre fini d’êtres, si considérable qu’on le suppose, ne peut épuiser le contenu du concept qui les enveloppe et, par cela même, les déborde. — Dira-t-on qu’il convient à un nombre infini d’individus ? Les idéalistes l’ont soutenu ; ils ont vu dans l’idée générale quelque chose de divin ; de là la théorie de la Réminiscence de Platon, et la Vision en Dieu de Malebranche. L’infini préexiste, au moins logiquement, au fini ; et c’est ce que Descartes veut dire par sa théorie des idées innées. Kant lui-même attribue l’infinité aux notions de temps et d’espace, aux catégories de l’entendement, aux idées de la raison pure. Mais, malgré tant et de si grandes autorités, c’est là une conception contradictoire ; l’infini, s’il existe, doit être achevé, définitif, et la raison qu’on invoque pour déclarer les concepts infinis est qu’ils ne sont jamais achevés, jamais définitifs !

Il ne reste plus qu’à dire que les idées générales correspondent à un nombre indéterminé d’êtres, que général et indéfini sont termes synonymes. L’infini philosophique, comme l’infini mathématique, c’est l’indéfini.

Par suite, il est aisé de comprendre comment, l’intuition rationnelle et l’expérience étant également récusées, s’explique la formation de l’idée de l’infini. En généralisant, c’est-à-dire en éliminant successivement tous les traits individuels, l’entendement, comme l’avait bien vu Locke, dégage le concept de tous les liens qui l’attachent à la réalité concrète. Dès lors, l’idée est comme une matière docile que l’entendement peut manier à son aise ; libre comme il est, il peut répéter son opération autant de fois qu’il le veut ; la même raison subsistant toujours, suivant la profonde expression de Leibnitz, qui, ayant exclu l’infini de la quantité abstraite, l’aurait sans doute, si on l’eût pressé, banni des concepts abstraits, rien ne peut l’arrêter : de là cette extension tout idéale qui ne connaît pas d’obstacle. L’entendement ne peut se lasser de fournir, puisqu’il ne met rien dans son œuvre qui ne soit de lui et à lui il : ne s’arrêterait que s’il se manquait à lui-même. Le concept de l’infini n’est donc pas une chose toute faite, que l’entendement trouve écrite en lui comme l’édit sur l’album du prêteur : il le construit peu à peu, il l’élabore lentement, non, comme le soutiennent les sensualistes, au moyen des seules données des sens, mais d’après ses lois propres à priori. Tel est le vrai sens du célèbre mot de Leibnitz : nisi ipse inetellectus.

Ces lois à priori, qui servent à l’élaboration des concepts, M. Evellin les ramène au principe d’intelligibilité, qui n’est que la définition même de l’intelligence. Étant donnés les phénomènes et ce seul principe, il explique toutes les opérations psychologiques de l’esprit, la sensation, la perception, l’association, la raison « qui abstrait et généralise »  ; puis les opérations logiques, la déduction et l’induction.

Cependant l’infini apparaît encore en philosophie sous une autre