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ment neuve : les belles études de M. Renouvier, si profondes et si précises, conduisaient déjà à une conclusion analogue. Mais ce qui appartient en propre à M. Evellin, et c’est une grande et belle originalité, c’est la démonstration qu’il a donnée. Quelque opinion que l’on professe sur l’absolu, sur les rapports de l’esprit avec les choses en soi, on ne peut méconnaître la vigueur et la richesse de son argumentation, la sûreté de sa dialectique, l’enchaînement rigoureusement systématique de ses vues. Bien plus, quiconque y réfléchira se convaincra, croyons-nous, qu’en toute hypothèse et dans tout système il faut faire droit à ses principaux arguments. Nous n’avons donc pas à critiquer ce qui est le fond même du livre : il en est autrement des théories métaphysiques auxquelles l’auteur a rattaché ses démonstrations. Le réalisme dont il fait profession, l’absolu et les choses en soi qu’il nous croit capables d’atteindre, l’assiette nouvelle qu’il veut donner à la métaphysique, ou plutôt l’assiette ancienne qu’il veut lui rendre, sont choses contestables à nos yeux, et il ne nous parait pas que sur ces points l’auteur soit à l’abri de tout reproche.

Tout d’abord, sa théorie de la connaissance, si importante en pareille matière, soulève des difficultés : la terminologie au moins en est incertaine. Le mot entendement est certainement pris en deux sens différents dans la première et dans la seconde partie. Au début, il est employé comme synonyme de raison : on oppose l’entendement, juge infaillible de la vérité, aux sens et à l’imagination. À la fin, il change de parti : c’est lui, avec ses formes abstraites et son travail à vide, qui crée ces fantômes, l’indéfini, le continu, que tous les efforts de la raison pure parviennent à peine à exorciser, Et pour faire cette œuvre si contraire à la raison, c’est le secours de la raison même qu’il emprunte : le concept de l’indéfini, œuvre de l’entendement, « se résout dans la loi d’intelligibilité » (p. 229), qui est la loi constitutive de la raison. Il faut avouer qu’il est malaisé de se faire une idée exacte de la doctrine de M. Evellin sur l’origine de nos connaissances. Il semble que, préoccupé exclusivement du réel, il ait un peu oublié la pensée, et que les choses en soi aient, dans son esprit, fait tort aux idées.

Le point de départ de la connaissance, suivant M. Evellin, est le phénomène, œuvre commune du sujet et de l’objet, synthèse de l’un et de l’autre. On pourrait lui faire remarquer que le phénomène est un fait de représentation, un état de conscience, et que la seule distinction qu’on y peut faire, parce qu’elle est donnée dans l’acte même de la pensée, est celle du sujet conscient et de l’objet en tant que représenté, ou, pour parier le langage de M. Renouvier, du représentatif et du représenté. En un mot, la distinction devrait être exprimée de telle sorte qu’on vit bien qu’on ne sort pas de la représentation ; elle devrait être exprimée en termes idéalistes au lieu de l’être, comme chez M. Evellin, en termes réalistes. Ce serait une grande chose, et c’est celle qu’a tentée plus d’un métaphysicien, de faire sortir le réel du seul fait de la pensée, la seule chose qui soit incontestée. Mais enfin M. Evellin postule