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darmesteter. — les cosmogonies aryennes

dessus de nous et la terre sont le siège commun des mortels et des génies ; au milieu, entre le ciel et la terre, ce qu’on appelle le Chaos » ; ainsi les Oiseaux d’Aristophane, quand, bâtissant leur cité aérienne, ils se promettent de prendre les dieux par la famine s’ils ne consentent à payer tribut, en empêchant la graisse des victimes d’arriver au ciel à travers leur cité et le Chaos[1]. C’est de ce Chaos que vient le monde, parce que c’est dans ce Chaos, dans ce vide entre ciel et terre, que réside le principe créateur, la nuée. Phérécyde, qui, comme Thalès, fait de l’élément humide le principe premier, appelle ce principe Chaos[2]. Quand le Socrate de la comédie annonce pour dieu nouveau le Chaos avec les Nuées, il le montre du doigt[3], parce que le Chaos n’est autre que le lieu de la nuée : il n’invente pas, comme le veut Aristophane, des dieux et des rapports nouveaux, il n’abandonne pas les vieilles divinités pour des créations de fantaisie, il remonte aux plus anciennes traditions des Hellènes et des Aryens : le novateur dénoncé n’est qu’un attardé de la vieille foi, qui semble nouvelle étant oubliée. Le bon Plutarque, à défaut d’Aristophane, comprendrait ce Socrate : « L’eau est le premier des éléments, a dit Pindare ; ainsi parle aussi Hésiode : Tout d’abord était le Chaos[4]. »

Les deux enfants du Chaos, c’est-à-dire de la région nuageuse, ne sont, l’un, la Nuit, qu’un attribut du Chaos, l’autre, l’Erèbe, qu’une autre forme du Chaos même. Si, dans la mythologie classique, l’Erèbe, siège de la nuit éternelle, est caché dans les entrailles de la terre, il reste des indices qu’il n’en a pas toujours été ainsi : l’Erèbe, dans l’Odyssée, commence au delà du fleuve Océan, là où roulent dans l’Achéron le Phlégeton enflammé et le Cocyte : tous ces fleuves de flamme et de ténèbres ont commencé par être le fleuve d’en haut, le fleuve de la nuée d’orage, où roulent la lave et la nuit ; ces demeures souterraines où gisent les démons vaincus ont été tout d’abord la demeure d’en haut où les démons attaquaient, luttaient, succombaient. Seulement, comme l’atmosphère ne se révélait que par intermittence comme le siège de la nuit et des créatures de la nuit, on les rejeta dans les cavités souterraines, pleines d’inconnu et de ter-

  1. Διὰ τῆς πόλεως τῆς ἀλλοτρίας καὶ τοῦ χάους
    τῶν μηρίων τὴν κνίσσαν οὐ διαφρήσετε
    (Oiseaux, 192).

  2. Tatius, Isagoge, apud Schœmann.
  3. Νομιεῖς ἤδη θεὸν οὐδένα, πλὴν ἅπερ ἡμεῖς,
    τὸ Χάος τουτί, καὶ τὰς Νεφέλας, καὶ τὴν γλῶτταν, τρία ταῦτα
    (Nuées, 4, 42.)

  4. Ἄριστον μὲν ὕδωρ, ὁ δὲ χρυσὸς, αἰσθόμεν μῦρ,
    φησὶν ὁ Πίνδαρος· ὥστε οὗτος μὲν δευτέραν ἄντικρυς τῷ πυρὶ χώραν ἔδωκε· συμφωνεῖ δὲ καὶ Ἡσίοδος, εἰπὼν,


    Ἤτοι μὲν πρώτιστα Χάος γένετο (Aqua an Ignis sit utilior, 1).