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darmesteter. — les cosmogonies aryennes

son système ; mais, pour le trouver, il n’avait eu qu’à écouter et recueillir les vieilles formules théogoniques elles lui avaient appris que le monde sort du Χάος, de la Νεφέλη, c’est-à-dire de l’ἀήρ ; déjà, avant lui, Épiménide, variant Hésiode, au lieu de mettre au début le Chaos et la Nuit, avait mis l’Air et la Nuit. Anaximène n’invente pas, il répète : seulement ἀήρ, le nom de l’atmosphère nébuleuse[1], avait pris aussi un sens plus abstrait et plus technique, une valeur élémentaire ; l’antique cosmologie si claire s’obscurcit en système philosophique.

Cette atmosphère nébuleuse est le siège des eaux et elle est le siège de la flamme. De là deux écoles, citées en passant par Aristote, l’une prenant pour principe un élément intermédiaire entre l’air et l’eau, l’autre entre l’air et le feu[2].

§ 15. La nuée, en Grèce comme en Inde, est l’œuf où germe la lumière : c’est de l’œuf que nait, au bord de la rivière, la fille de Zeus, la fille du ciel, Hélène, « la Resplendissante », la lumière-femme[3]. En Grèce donc, comme en Inde, et pour le même motif, l’œuf sera le symbole de la création. Cette forme cosmogonique, moins classique que les précédentes, est surtout connue par le développement qu’elle a pris dans les systèmes mystiques de la fin du paganisme. Dans les mystères de Dionysos, l’œuf était le symbole de l’univers, engendrant et contenant toutes choses dans son sein[4] : on est déjà assez loin ici du sens primitif et de l’image naturaliste ; les poètes orphiques y demeurèrent, et le développement des images élémentaires arrive à des versions coïncidant presque absolument avec les versions brahmaniques. Au début, le Chaos, la Nuée et la Nuit ; le Chaos, roulant sur lui-même, se condense, se limite et prend la forme d’un œuf monstrueux ; l’œuf, en tournant, germe, et se brise en deux moitiés qui forment le ciel et la terre ; du centre de l’œuf sort l’être qui doit créer

  1. C’est le sens propre du mot par opposition à αἰθήρ, l’espace de la lumière céleste.
  2. Ὕδατος μὲν λεπτότερον, ἀέρος δὲ πυκτότερον, ὅ περιέχειν φασὶ πάντας τοὺς οὐρανοὺς ἄπειρον ὄν (De cælo, III, 5). — Ἤ πῦρ ἤ ὕδωρ ἤ πυρὸς μὲν πυκνότερον ἀέρος δὲ λεπτότερον (Métaph., I, 7).
  3. Hésiode fait d’elle une fille d’Okéanos et de Téthys (fr. 35, éd. Didot ; Schol. Pind. Nem., X, 150) ; elle est en effet aussi bien la fille d’Okéanos que de Zeus, de la rivière céleste que du ciel, sortant de l’une aussi bien que de l’autre (Ἡσίοδος οὔτε Λήδας οὕτε Νεμέσεως δίδωσι τὴν Ἑλένην, ἀλλὰ θυγατέρα Ὠκεανοῦ καὶ Τηθύος).
  4. Ὡς μίμηνα τοῦ τὰ πάντα γεννωῶντος καὶ περιέχοντος ἐν ἑαυτῷ (Plutarque, Sympos. II, 3, 2). (In sacris Liberi patris) ex forma tereti ac pæne sphærali atque undique versum clausa, et includente intra se vitam, mundi simulacrum vocatur (Macrobe, Saturn., VII, 16). L’œuf est donc antérieur à la poule. — Cf. le Minokhired et Varron, cités § 25.