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sable de tous les dieux bienheureux[1]. » L’Amour-sentiment, force générale de la nature, a pris la place d’Amour, être concret et personnel, identique au dieu lumineux qui sort sur des ailes d’or de la nuée ténébreuse. Déjà, dans Hésiode, la pensée philosophique et abstraite a recouvert la vieille image mythique : lui, non plus, ne sait plus que l’Eros créateur n’est qu’un des déguisements de la lumière, une forme d’Héméra ; ce n’est plus Amour, c’est l’Amour, « le dieu de langueurs, qui dompte le cœur de tous les dieux et de tous les hommes[2] ; c’est déjà l’Amour abstrait des philosophes, « l’Amour par qui se sont faits les commencements sacrés de la nature et se sont développés les éléments de tout l’Univers[3]. » Phérécyde est plus près du mythe quand son Zeus pour créer le monde se transforme en Eros[4] ; Parménide également, quand il place Aphrodite, son principe premier, au milieu des zones alternées de nuit et de lumière dont se forme l’univers, et lui fait créer Eros comme première de toutes les créatures[5] ; mais il est philosophe quand il la définit le a génie qui gouverne toute chose, principe en toute chose du douloureux enfantement et de toute union, envoyant l’élément femelle se mêler à l’élément mâle et l’élément mâle à l’élément femelle[6] », et

  1. Οὗτος δὲ χάει πτερόεντι μιγεὶς νυχίῳ κατὰ Τάρταρον εὐρὺν
    ἐνεόττευσεν γένος ἡμέτερον καὶ πρῶτον ἀνήγαγεν εἰς φῶς.
    Πρότερον δ’ οὐκ ἦν γένος ἀθανάτων πρὶν Ἔρως συνέμιξεν ἅπαντα,
    ξυμμισγομένων δ’ ἐτέρων ἑτέροις γένετ’ οὐρανός τ’ ὠκεανός τε
    καὶ γῆ πάντων τε θεῶν μακάρων γένος ἄφριτον
    (Ibid., 700).

  2. Ἠδ' Ἔρος, ὅς κάλλιστος ἐν ἀθανάτοισι θεοῖσι,
    λυσιμελής, πάντων τε θεῶν πάντων τ' ἀνθρώπων
    δάμναται ἐν στήθεσσι νόον καὶ ἐπίφρονα βουλήν
    (Théogonie, 120).

    « Hésiode dit Aristote, et les autres qui, comme Parménide, ont mis l’Amour ou le Désir au début comme principe des choses, sont les premiers qui aient eu l’idée d’une cause première de mouvement » (ὡς δέον ἐν τοῖς οὖσιν ὑπάρχειν τιν’ αἰτίαν ἥτις κινήσει καὶ συνάξει τὰ πράγματα) ; Métaph., I, 4).

  3. Amor ille per quem rerum naturæ sacra primordia totiusque mundi elementa creverunt. (Quintilien, Declamat. XIV, ap. Schœmann, De cupidine cosmologico, opuscule plein de faits, où sont rassemblés tous les textes importants sur le rôle d’Eros dans la cosmologie grecque ; Opusc. Acad. II, 6).
  4. Καὶ ὁ Φερεκύδης ἔλεγεν εἰς Ἔρωτα μεταβεβλῆσθαι τὸν Δία μέλλοντα δημιουργεῖν, ὅτι δὴ τὸν κόσμον ἐκ τῶν ἐναντίων συνιστὰς εἰς ὁμολογίαν καὶ φιλίαν ἤγαγε καὶ ταυτότητα πᾶσιν ἐνέσπειρε καὶ ἕνωσιν τὴν δι’ ὅλων διήκουσαν (Proclus, Comm. ad Timæum 156 A). L’explication ὅτι δὴ est sans doute de Proclus ; il est douteux que l’idée fût aussi nettement dans la pensée de Phérécyde, qui, dans tout ce qui reste de lui, se montre pur mythologue, sans ombre de métaphysique.
  5. Πρώστιτον μὲν Ἔρωτα θεῶν μητίσατο πάντων (Aristote, loc. cit. ; Plutarque, Amatorius, 12 ; Simplicius, Phys., fol. 9 a).
  6. Ἐν δὲ μέσῳ τούτων Δαίμων ἥ παντα κυβερνᾷ.
    Πάντῃ γὰρ στυγεροῖο τόκου καὶ μίξιος ἀρχὴ
    πέμπουσ' ἄρσενι θῆλυ μιγῆναι, ἐναντία τ' αὖθις
    ἄρσεν θηλυτέρῳ
    (Fragm., 126, éd. Mullach ; de Simplicius, Phys., f. 9 a).

    Sur ces zones alternées, voir Stobée, Eclogæ I, 23 (482) Cicéron, De Nat. D., I, 11 ; Plutarque, De placitiis philos., II, 7.