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darmesteter. — les cosmogonies aryennes

quand il l’appelle, non seulement Aphrodite, mais Ἀνάγκη, la Nécessité, Δίκη, la Loi, Κυβερνῆτις, celle qui gouverne, Κληροῦχος, la Destinée[1]. Il était réservé au génie le plus net et le moins rêveur que la Grèce ait produit de rajeunir le vieux mythe décoloré par des générations de philosophes, en lui donnant une valeur nouvelle, plus mystérieuse qu’il n’avait jamais eue. Aristote, en quête du mouvement initial, ne pouvant le mettre au sein de son Dieu, trop parfait et trop au-dessus du monde pour déchoir au mouvement, se retourne vers la vieille formule des mythologues : c’est l’Amour qui sera avec lui, comme il a été avec Hésiode, avec Acousilaos, avec Parménide, avec les Orphiques, avec les Rishis védiques, le branle de la vie universelle[2] ; mais ce n’est plus l’amour des choses pour les choses, la sympathie des éléments qui se rencontrent c’est un vague et mystique amour du monde pour son principe suprême et voilé, une sorte d’effort ardent et douloureux de l’Univers vers un Idéal obscur auquel il aspire et qui met le ciel en marche vers Dieu. Ce n’était point la peine de tant railler Platon et ses métaphores poétiques. La philosophie, d’ailleurs, une fois qu’elle entre dans le mystère premier, peut-elle en sortir autrement qu’à coups de métaphore ? Et le mieux n’est-il pas ou de rester au bord, ou, si l’on y plonge, de s’abandonner franchement, et sans se duper soi-même, à la poésie et au rêve, jusqu’au bout ?

Tel fut le dernier terme d’abstraction où parvint le vieux mythe aryen qui, transportant aux héros de ses luttes naturalistes les passions de l’âme humaine, avait installé l’Amour au foyer de la création. Et quand la poésie, de nos jours, a lancé les mondes autour du soleil sur les ailes de l’amour, c’est un écho lointain des formules que chantaient les ancêtres de la race aryenne qui retentit dans les vers de l’Enfant du siècle :

 J’aime ! c’est là le mot que la nature entière Crie au vent qui l’emporte, à l’oiseau qui le suit !… Oh ! vous le murmurez dans vos sphères sacrées, Étoiles du matin, ce mot triste et charmant ! La plus faible de vous, quand Dieu vous a créées, À voulu traverser les plaines éthérées, Pour chercher le soleil, son éternel amant.

  1. Stobée, l. l.
  2. Κινεῖ ὡς ἐρώμενον, κινούμενον δὲ τἆλλα κινεῖ (Metaph., XII, 7).

    La matière est emportée par le désir de sa nature vers le divin et l’excellent dont elle est l’opposé et auquel elle aspire (Ὄντος γάρ τινος θείου καὶ ἀγαθοῦ καὶ ἐφετοῦ, τὸ μὲν ἐναντίον αὐτῷ φαμὲν εἶναι, τὸ δὲ ὁ πέφυκεν ἐφίεσθαι καὶ ὀρέγεσθαι αὐτοῦ κατὰ τὴν ἐαυτοῦ φύσιν.

    Mais d’où vient cet amour dans la matière ? demande Proclus.