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darmesteter. — les cosmogonies aryennes

sécheresse finit en pluie, toutes ténèbres en lumière, elle croit dominer la nature dont elle n’est que le prophète, elle croit avoir produit ce qu’elle n’a que prédit, et elle s’érige en puissance, se croyant obéie parce qu’elle est satisfaite. Il est des paroles entendues des dieux qui font tomber la pluie ; les prêtres par leur prière sucent le lait de la terre et du ciel ; c’est en chantant un Mantra que les Atris ont trouvé Agni ; il y en a qui ont inventé un Sâman avec lequel ils allument le soleil. C’est par la prière que se succèdent l’ordre régulier des temps ; la nuit et l’aurore font le tour du monde sur les ailes de l’hymne. Sur cette illusion, la prière entre au Panthéon : elle sera, sous le nom de Brahman, le principe suprême du brahmanisme, le principe universel[1].

§ 35. La combinaison de l’offrande et de la prière constitue le sacrifice. Des deux parts de l’Himalaya, en Inde et en Perse, des mythes cosmogoniques se formèrent qui mettaient le sacrifice au début du monde. En Inde, c’est par un sacrifice de mille années que Prajâpati, « le Maître des générations » (un des noms brahmaniques du principe suprême), crée tout ce qui est, univers, dieux et démons. Déjà dans le Rig Véda un hymne célèbre montre le monde se formant parle sacrifice du corps de Purusha, « le Mâle », personnification de l’être premier et universel :

« Purusha a mille têtes, mille yeux, mille pieds ; enveloppant la terre de toutes parts, il la dépasse encore de son entier[2].

« Purusha est tout ce qui est, qui a été et qui sera : il est le maître et de ce qui est immortel et du mortel qui croît par nourriture.

« Telle est sa grandeur, et plus grand encore Purusha. Par un de ses pieds[3] il est l’ensemble des êtres, et par les trois autres il est la substance immortelle au ciel.

« Et que Purusha monte au ciel avec ses trois pieds, il en restera un encore avec lequel de toutes parts il pénètre tout ce qui vit d’aliments ou sans aliments[4].

« De Purusha est née Virâj, et de Virâj est né Purusha ; aussitôt né, il dépasse la terre et par devant et par derrière.

« Quand, avec Purusha pour oblation, les dieux offrirent le sacrifice, le printemps fut le beurre sacré, l’été la bûche, l’automne l’oblation.

« Pour victime sur le gazon saint, ils arrosèrent Purusha, né au

  1. Ormazd et Ahriman, § 88.
  2. Littéralement « des dix doigts. »
  3. Jeu sur le mot pâda qui signifie à la fois pied et quart.
  4. C’est-à-dire « l’animé et l’inanimé, » et aussi « les créatures mortelles et les dieux. »