Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 11.djvu/490

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
486
revue philosophique

début des temps et ils l’offrirent en sacrifice aux dieux, aux saints et aux Rishis.

« De ce sacrifice universel, le beurre ruisselant qui était offert fit sortir les bêtes des airs, celles des forêts et des étables.

« De ce sacrifice universel naquirent les hymnes saints et les chants ; de lui les mètres naquirent, et les formules du sacrifice.

« De lui naquirent les chevaux et tout ce qui a deux rangées de dents, et de lui naquirent les vaches et les chèvres et les brebis.

« Quand ils ont dépecé Purusha, en combien de parts l’ont-ils partagé ? Où est sa bouche ? Où sont ses bras ? Où sont ses cuisses ? Où sont ses pieds ?

« C’est le Brahmane que devint sa bouche ; c’est le Kshatriya que devint son bras ; c’est le Vaiçya que devint sa cuisse c’est de son pied qu’est né le Çûdra.

« La lune est née de sa pensée, et de son regard le soleil[1] ; de sa bouche Indra et Agni de son souffle est né Vâyu[2].

« De son nombril sortit l’atmosphère, et de sa tête se fit le ciel ; de ses pieds sortit la terre, de son oreille les régions de l’horizon : c’est ainsi que les dieux ont formé le monde[3]. »

Puisque le sacrifice journalier entretient la vie du monde, que c’est une création continue[4], un sacrifice reporté au début des temps expliquera la création elle-même.

§ 36. La Perse est arrivée de son côté à une conception analogue. « Avant que rien existât, disent les Zervanites, ni ciel, ni terre, ni aucune des créatures qui sont dans le ciel et la terre, il y avait un être nommé Zervan (le Temps). Mille ans durant il sacrifia, pensant qu’il lui naîtrait un fils nommé Ormazd, qui ferait le ciel et la terre et tout ce qu’ils contiennent. Et, après avoir sacrifié pendant mille ans, il commença à réfléchir et se dit : Ces sacrifices que j’accomplis me serviront-ils ? me naîtra-t-il un fils Ormazd, ou si ma peine sera en vain ? Comme il se disait ces choses, Ormazd et Ahriman furent conçus dans le sein de leur mère, Ormazd pour le sacrifice, Ahriman pour

  1. Dans les formules indiennes, soleil et lune, regard et pensée font couple (sûrya-candramâs ; cakshus-manas), les deux premiers par liaison naturelle, les deux autres par liaison métaphorique, la pensée étant le regard intérieur. Or le soleil, œil du monde, est né de l’œil de l’Homme-Univers ; donc la lune a dû naître de sa pensée.
  2. Le vent.
  3. R. V., 10. 90, 1-14. Les derniers vers fournissent l’exemple le plus ancien du macrocosme ; dans l’Edda, le monde est formé du corps du géant Ymir ; chez les Orphiques, le monde est le corps de Zeus (§ 26).
  4. Bhagavad Gîtâ, II, 14.