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avaient résolu ce dernier problème. J’ai essayé ici de montrer comment les renaissances du monde dans l’orage fournirent la solution du premier.

On voit par l’indépendance des deux réponses comment les deux questions se trouvèrent disjointes l’ordre du monde et l’origine du monde se trouvèrent ramenés à deux principes différents : l’idée d’un dieu créateur resta absente et le dieu régulateur devint lui-même postérieur au monde. La matière est antérieure à son démiurge et le crée ; les dieux ne sont que les aînés des êtres, les premiers-nés de la matière préexistante ; ils sont au faîte de la création, mais ils en sont ; au plus haut du ciel, mais non en dehors[1]. Cette dualité de principe et d’action, à mesure que s’éveillait la réflexion raisonnante, devait y porter le trouble. Tandis que les Sémites bibliques, ayant posé de front le problème du monde dans son entier, expliquaient du même coup et son existence et l’ordre qui y règne[2] et concentraient tout le mystère sur un nom et sur un acte unique, les Aryens, ayant laissé leurs croyances se former une à une au hasard des formules et des images mythiques groupées par l’analogie, se trouvèrent bien vite plongés de toute part dans le mystère : les efforts infructueux qu’ils firent pour en sortir fondèrent la métaphysique. Un hymne du Rig Véda nous offre un écho de ces luttes qui s’engagèrent, il y a des siècles, dans la conscience des frères aînés de l’humanité aryenne ; c’est un des documents métaphysiques les plus anciens et les plus beaux de la race :

« 1. Le non-être n’était pas, ni l’être, alors ; l’atmosphère n’était point, ni le firmament au-dessus d’elle : où donc était enveloppe le monde ? où ? dans quoi renfermé ? Les eaux étaient-elles ? le gouffre insondable ?

« 2. La mort n’était point, ni donc l’immortalité : nulle distinction de la nuit ni du jour. — De soi-même un souffle s’éleva[3], sorti de nulle poitrine ! c’état l’être un, et rien n’était alors autre que lui ni au-dessus de lui.

« 3. Les ténèbres furent[4]. Enveloppé dans la nuit au début, tout cet

  1. Voir l’hymne cité plus bas, vers 6, et le cri de Pindare : « Hommes et dieux, nous sommes une même race ; d’une même mère nous tenons le souffle. » Ce fut une nouveauté étrange quand Xénophane imagina que les dieux, n’ont pas de commencement.
  2. Il faut dire que ceci n’est qu’une interprétation postérieure de la cosmogonie de la Genèse, qui laisse indécise la question de l’origine de la matière et suppose plutôt un chaos, à la façon aryenne. Telle était, semble-t-il, la solution dans la vieille cosmogonie babylonienne d’où elle dérive.
  3. Le souffle qui produit l’ὑπηνέμιον ὠόν d’Aristophane (§ 16), le Νοῦς-ψυχή d’Anaxagore (§ 31).
  4. Hésiode, Épiménide.