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darmesteter. — les cosmogonies aryennes

univers n’était qu’une onde indistincte[1]. L’Un formidable, enveloppé dans le vide, naquit alors par la puissance de la chaleur[2].

« 4. L’Amour, voilà l’être qui naquit au début[3], l’Amour qui fut le germe premier de la pensée et en qui les sages, s’ils interrogent leur cœur, découvrent le lien du non-être à être.

« 5. Le rayon transversal qui fit la trame des mondes venait-il d’en haut, venait-il d’en bas[4] ? Y avait-il des puissances fécondantes et des forces de croissance ? Nature au-dessous, énergie au-dessus ?

« 6. Qui sait ? Qui pourrait dire d’où est sortie cette création ? Les dieux sont postérieurs à son émission donc, qui sait d’où elle est sortie ?

« 7. Cette émission, d’où elle sortie et si quelqu’un l’a faite ou non. Celui qui du haut du firmament surveille ce monde, celui-là le sait ! — Peut-être ne le sait-il pas[5]. »

Les Indous ont attribué la composition de cet hymne à Prajâpati Parameshtin, c’est-à-dire à l’être suprême en personne, mettant dans la bouche même de la divinité transcendante cet aveu d’impuissance, ce blasphème sublime, ce défi suprême jeté par le mystère à l’intelligence divine. L’inconnu, quel qu’il soit, qui eut assez d’audace dans la pensée pour acculer ses dieux à la même ignorance que lui-même, a place dans le chœur immortel. Pascal eût reconnu un frère, Spinoza lui eût donné la main jamais parole de puissance plus calme ne frappa la nuit du chaos. Mais plus d’une fois aussi la fièvre d’angoisse fit trembler la voix tranquille du Rishi proclamant son ignorance hautaine, et, moins triomphant de l’ignorance divine qu’abattu de son impuissance humaine, il s’abandonna, découragé, triste :

« Non ! vous ne sauriez connaître ces choses, car autre est votre nature ! — Et les poètes s’en vont, enveloppés de ténèbres, et las de paroles vaines[5]. »

James Darmesteter.

  1. Homère, Thalès, Hippon : — Anaximandre, Anaxagore.
  2. Voir § 8. p. 456, note 2.
  3. Hésiode, Aristophane, Aristote.
  4. C’est l’image de Phérécyde : l’étoffé cosmique sur laquelle Zeus a dé la terre et Ogenos (l’Océan) et les demeures d’Ogenos (Φερεκύδης ὁ Σύριος λέγει· Ζὰς ποιεῖ φᾶρος μέγα τε καὶ καλὸν καὶ ἐν αὐτῶ ποικίλλει γῆν καὶ Ὠγῆνον καὶ τὰ Ὠγῆνου δόματα : Clem. Alex. Stromata, IV 741, éd. Dindorff).
  5. a et b R. V., 10, 129. R. V., 10, 81, 7.