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tant de satellites autour de telle planète, un anneau autour de Saturne ? Si l’attraction avait seule agi depuis l’origine des choses, n’est-il pas évident qu’il n’y aurait dans le monde ni diversité ni mouvement ? Nous pouvons donc déjà conclure que, si la science ne fait qu’exprimer les rapports immuables et permanents qui existent entre les choses, elle n’explique ni l’origine ni l’existence, ni même une certaine évolution de ces mêmes choses. Tout cela pourtant existe et paraît nécessaire à l’existence même de la science. C’est cet élément de la connaissance que M. Cournot désigne sous le nom d’élément historique.

Peut-être pensera-t-on que notre ignorance seule nous oblige à sortir ainsi de la science pour recourir à l’observation ou même à l’histoire. Les faits qui nous servent de points de départ dans notre étude du système planétaire, comme l’existence de la terre, de la lune, etc., dans les conditions actuelles, ces faits ne sont pas primitifs, mais dérivés. Si notre science était complète, tous les faits nous apparaîtraient comme des transformations d’un seul fait primitif. Sans doute ce fait primitif lui-même demeurera toujours inexpliqué, et nous devons en prendre notre parti, à moins que nous ne renoncions au principe de la relativité de la connaissance. Mais nous pouvons et nous devons même concevoir qu’un seul postulat suffise à la science, à savoir l’existence d’un seul fait primitif.

Cette réponse ne paraît pas irréfutable. Les phénomènes qui se produisent autour de nous forment des séries dans lesquelles tout est lié par une nécessité absolue. Que toutes ces séries convergent à l’origine de manière à avoir toutes pour point de départ un seul et même fait, c’est une hypothèse métaphysique séduisante, mais c’est une hypothèse. Qu’y-a-t-il d’impossible à admettre l’existence de séries indépendantes dans leur origine aussi bien que dans leurs développements. Les faits que nous prenons comme primitifs et dont l’enchaînement constitue ce que M. Cournot appelle l’élément historique de la connaissance seraient alors amenés par des combinaisons de faits appartenant à des séries indépendantes. Ce serait la part laissée au hasard dans la nature, part qu’il faut toujours tâcher de déterminer avec soin. C’est, je crois, ce que voulait dire Stuart Mill quand il écrivait dans son Système de logique :

« Il est de la plus haute importance, pour bien comprendre la logique inductive, de se faire une idée claire de ce qu’il faut entendre par le hasard et de la manière dont se produisent en réalité les phénomènes que le langage commun attribue à cette abstraction[1]. »

  1. Livre III, ch. xvii.