Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 11.djvu/518

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
514
revue philosophique

psychologie est une science positive à la condition qu’on la réduise à n’être qu’une science d’observation pure, dont l’objet unique est l’analyse et la description des phénomènes de conscience. La psychologie entendue de la sorte est le point de départ de toutes les science morales. Les sciences morales sont des applications ou si l’on veut des déductions de la psychologie.

M. Cournot n’accepte ni la doctrine d’Aug. Comte ni celle de Stuart Mill : contre Aug. Comte, il soutient que les sciences morales peuvent être constituées en elles-mêmes et sans devenir des dépendances de la physiologie ; contre Stuart Mill il soutient que ces mêmes sciences morales sont tout autre chose que des applications de la psychologie. Il le soutient avec d’autant plus de force que, pour lui comme pour Aug. Comte, la psychologie n’est pas et ne peut pas être une science. Ce point mérite assurément d’être examiné avec attention. La conscience, dit M. Cournot, n’est pas un instrument d’observation scientifique, parce que ses observations ne peuvent pas être vérifiées. Vous prétendez observer en vous-même tel phénomène. Comment puis-je l’observer après vous ? Devrai-je chercher à l’observer en moi ? Mais le phénomène que j’observerai en moi ne sera pas celui que vous aurez observé en vous. Il est vrai que je n’ai pas besoin d’avoir vu telle expérience de Faraday pour l’accepter pleinement ; je n’ai qu’à la répéter après lui. Pourquoi ne puis-je pas répéter une observation psychologique comme je répète une expérience de Faraday ? C’est que, les conditions dans lesquelles Faraday s’est placé étant rigoureusement déterminées, je n’ai qu’à me placer exactement dans les mêmes conditions, pour être sûr que je répète l’expérience ; mais comment déterminer rigoureusement les conditions d’une observation psychologique ? On voit donc que la psychologie est nécessairement une science personnelle et subjective. Mais il y a plus. Supposons que la vie mentale d’un individu soit décrite avec une exactitude parfaite, cette description ne serait pas, ne pourrait pas être un objet de science, car la description d’une simple succession de phénomènes n’est pas un objet de science. Or chaque état de conscience est le résultat d’une multitude infinie d’influences, climat, hérédité, éducation, etc. Ces influences ou ces causes, comme on voudra les appeler, sont impossibles à analyser d’une façon précise. La psychologie peut donc être un objet de méditation, de réflexion ; de curiosité, elle ne peut être une science. On pourrait, ce semble, arrêter ici M. Cournot. Les arguments que nous venons d’indiquer, bons ou mauvais, paraissent valoir non seulement contre la psychologie, mais contre toute science morale. Si M. Cournot les croit bons contre la psychologie, comment peut-il admettre