Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 11.djvu/517

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
513
charpentier. — philosophes contemporains

une idée toute différente celle qu’a toujours exprimée Aug. Comte Suivant Aug. Comte la science a pour unique objet d’observer tes faits et de déterminer les rapports qui existent entre ces faits ; pour M. Cournot la science a pour objet d’observer les faits, puis de coordonner ces faits en systèmes, en suivant certains principes que l’observation et le raisonnement sont incapables de fournir. Si l’on voulait bien me permettre une métaphore, je dirais que pour Aug. Comte le savant est un ingénieur ; pour M. Cournot il est un architecte. Mais, si ces deux grands esprits diffèrent profondément dans l’idée qu’ils ont conçue de la nature, ils diffèrent bien plus encore dans l’idée qu’ils se sont faite de l’homme. Ceci nous conduit naturellement à examiner la dernière et peut-être la plus importante partie de l’œuvre de M. Cournot.


III


C’est d’ordinaire l’étude des lettres qui conduit à l’étude des sciences morales. Rien de plus naturel. Les lettres vivent pour ainsi dire de l’observation de la nature humaine, et l’observation de la nature humaine paraît être le point de départ nécessaire de toute science morale. Ce n’est guère que dans notre siècle que les savants ont revendiqué le droit de constituer les sciences morales en leur imposant une méthode en tout semblable à celle des sciences positives. Parmi les tentatives de ce genre, deux surtout ont fait fortune, celle d’Aug. Comte et celle de Stuart Mill.

Pour Aug. Comte, l’homme n’est rien de plus qu’un être vivant : les phénomènes de pensée, les phénomènes qu’on nomme psychologiques ne sont que des phénomènes physiologiques plus compliqués que les autres mais au fond de la même nature. La psychologie n’est donc autre chose qu’une partie de la physiologie, et la sociologie, qui n’est qu’une application de la psychologie n’est par conséquent qu’une application de la physiologie même. La physiologie est une science positive ; la psychologie et la sociologie sont donc des sciences positives qui ne peuvent avoir d’autre méthode que la méthode physiologique. Nous n’avons pas à discuter ici ce système. Si on le suivait à la rigueur, on reculerait à l’infini la constitution des sciences sociales. Personne ne peut prévoir le moment où une question d’histoire par exemple ou encore d’économie politique pourra être considérée comme un simple problème de physiologie.

C’est ce qu’a parfaitement aperçu Stuart Mill, et c’est là l’origine d’une divergence profonde entre Aug. Comte et lui. Pour lui, la