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festement poursuivi un double but : d’abord il a cherché à donner plus de précision à certaines théories connues, par exemple à celle du change, à celle des effets de la concurrence ; ensuite il s’est efforcé de détruire certaines erreurs qui se sont glissées, suivant lui, dans les ouvrages d’auteurs d’ailleurs extrêmement considérables. Il est assez naturel que nous soyons tentés de suivre ici M. Cournot. Ses vues en économie politique nous semblent souvent très personnelles et en même temps très sensées. Nous ne saurions le faire toutefois sans exposer des discussions et par conséquent sans prendre part à des controverses qui nous entraîneraient bien loin. La vérité est qu’il y a là matière à un travail particulier, qui aurait tout ensemble son unité et son intérêt. Les explications que nous avons données suffisent d’ailleurs pour faire connaître la méthode de l’auteur.

Nous avons essayé d’indiquer les points principaux de la philosophie de M. Cournot et les traits essentiels de sa méthode. Nous nous ferions une bien singulière et bien impardonnable illusion si nous pensions que les quelques pages qui précèdent renferment le contenu de quinze volumes et de quinze volumes écrits par un auteur qui n’a jamais pris ]a plume que pour exprimer ses propres pensées. Si M. Cournot vaut beaucoup par les idées générales qu’il a eues sur la nature et sur l’homme, sur la philosophie en un mot, il vaut peut-être plus encore par la multitude d’aperçus ingénieux et féconds qui remplissent ses ouvrages. C’est un écrivain qu’il faut lire la plume à la main. On est payé de sa peine. Il faut convenir qu’il n’a jamais beaucoup sacrifié à la forme. Il n’écrit pas pour plaire, mais pour instruire et pour être compris. Le public l’en a puni cruellement. Le public est comme tous les puissants : il peut estimer ceux qui ne le flattent point, il n’aime que ceux qui le flattent. M. Cournot a été fort goûté, mais peu lu. Il le savait, et il en prenait son parti avec une bonne humeur un peu fière et même un peu méprisante. Il avait le sentiment de sa valeur et n’aurait certes pas changé son obscurité relative pour la renommée bruyante de tel d’entre ces écrivains qui écrivent un livre de philosophie comme d’autres écrivent une comédie, uniquement pour le succès : il écrivait, lui, pour la vérité. Nous espérons que la postérité sera plus juste que n’ont été ses contemporains, et nous serions heureux si nous pouvions contribuer à faire rendre justice à l’un des vaillants et des puissants esprits de notre temps.

T.-V. Charpentier.