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sept, c’est-à-dire à peu près le tiers, présentaient des désordres intellectuels, variant depuis l’hypocondrie jusqu’à la manie, avec hallucinations et démence. Les lésions des sens qui, en apparence, devraient avoir le moins d’action sur nos idées, comme le toucher, par exemple, peuvent également devenir l’origine de troubles intellectuels fort graves. Le Dr Auzouy a rapporté l’histoire curieuse d’un jeune homme très intelligent et d’excellent caractère qui, à la suite d’une anesthésie de la peau, devint indiscipliné et d’une conduite telle qu’on fut obligé de le faire enfermer dans l’asile de Maréville. Un traitement convenable ayant ramené la sensibilité cutanée, les dispositions morales reparurent telles qu’elles étaient d’abord. Il éprouva ensuite à diverses reprises plusieurs périodes d’insensibilité de la peau, dont l’apparition était immédiatement suivie de la manifestation des mauvais instincts qui l’avaient fait enfermer.

Les altérations des sensations d’origine interne, c’est-à-dire des sensations qu’éprouvent les principaux viscères, peuvent également être l’origine de perturbations intellectuelles plus ou moins profondes. C’est ainsi, je crois, qu’on peut expliquer les troubles de l’intelligence, allant souvent jusqu’à l’aliénation, qu’on observe chez les femmes enceintes, le délire que l’on remarque chez les enfants qui ont des vers intestinaux, les changements d’humeur et de caractère constatés chez les individus dont certains viscères, le foie, la prostate et l’urèthre notamment, sont lésés. Esquirol rapporte le cas d’un individu atteint d’une manie aiguë et furieuse causée par la présence d’un ténia et qui guérit immédiatement après qu’un traitement approprié l’eut débarrassé de son parasite. Une année après, les accès de manie ayant reparu, le même traitement vermifuge le débarrassa à la fois d’un nouveau ténia et de ses accès. Brown-Séquart a cité l’exemple d’un enfant de quatorze ans présentant du délire produit par un fragment de verre qui séjournait inaperçu dans l’orteil depuis quelques années. Lorsqu’on pressait sur l’organe malade, le délire augmentait ; il disparut complètement lorsque le morceau du verre fut extrait.

J’examinerai plus loin quel est au point de vue social, c’est-à-dire au point de vue exclusivement pratique, le degré de responsabilité des diverses classes de criminels dont je viens de parler. L’examen théorique serait tout à fait sans intérêt pour des psychologistes parfaitement convaincus, je suppose, que l’homme se conduit d’après son organisation et d’après le milieu où cette organisation fonctionne. Supposer qu’un criminel ou un homme vertueux aient pu agir autrement qu’ils ne l’ont fait, c’est admettre par le fait même de cette hypothèse une organisation et des circonstances autres que celles